SIMON SPURRIER PRÉSENTE HELLBLAZER
Books of Magic #14 + The Sandman Universe Presents Hellblazer #1 + John Constantine – Hellblazer #1-12 – Etats-Unis – 2018/2020
Genre : Fantastique
Scénariste : Simon Spurrier
Illustrateurs : Aaron Campbell, Matias Bergara
Editeur : Urban comics
Pages : 376 pages
Date de Sortie : 10 septembre 2021
LE PITCH
Brutalement réchappé d’un enchevêtrement de futurs apocalyptiques où les actes de Timothy Hunter signeraient la fin d’un monde, John Constantine retrouve les recoins sombres et hantés de Londres avec pour mission de sauver son âme promise une nouvelle fois à une éternité de souffrances. Sa quête est rapidement interrompue par le canon d’une arme pointée par le chef d’un gang local. Haruspice illuminé, ce dernier a lu dans les entrailles que seul Constantine serait capable de sauver son gang décimé aux prises avec un ange vengeur. Ce ne sont là que les premières péripéties d’une odyssée qui amènera le mage de la classe ouvrière à se confronter à son pire ennemi…
Veuillez rendre l’âme (à qui elle appartient)
S’échappant enfin du martyre d’une réintégration du personnage dans l’univers classique DC, John Constantine retrouve tout sa hargne, son irrévérence et sa magie (noire) dans le run de Simmon Spurrier regroupé dans un volume intégral qui fait mal. Et ça fait du bien.
Suite à la disparition du Label Vertigo, DC Comics avait tenté d’en reprendre quelques gloires et de les faire cohabiter, bon an mal an, aux cotés des panthéons super-héroïques bien célèbres. D’où l’apparition d’un Constantine aux sein de la Justice League Dark à partir de 2011, certes toujours anti-héros sur les bords, mais politiquement beaucoup plus correct et intégré dans des sagas à l’amplitude bien trop épique pour ses épaules de Liverpoolien. Profitant du retour en force de l’univers Sandman crée par Neil Gaiman, et à l’occasion d’un numéro spécial The Sandman Universe Presents Hellblazer, c’est à l’excellent Simon Spurrier qu’échoue la lourde tache de redorer le blason du personnage et surtout de lui offrir une résurrection à sa hauteur. Pas question de faire table rase de la parenthèse mainstream, il rebondit simplement sur la théorie DC du multivers pour trouver une voie de sortie, l’excuse pour un nouveau départ, un retour aux sources et à la fois le petit grain de sel qui va venir chatouiller Constantine tout au long des 12 chapitres à venir. Encore une belle trouvaille pour l’auteur de Coda, X-Men Legacy ou X-Force, qui excelle dès lors qu’il faut mettre en place une trame complexe où chaque nouvel épisode, vient considérablement étoffer et nourrir la ligne principale qui ne révèle tous ses atours qu’au dernier moment.
Anarchy for the U.K.
Ainsi que ce soit lorsqu’il est engagé par un gang pour mettre fin à des exécutions d’anges vengeurs, que les corbeaux de la tour de Londres attaquent les touristes, lorsque les patients d’un hôpital se font vampiriser la nuit ou qu’une sirène vide la Manche pour son beau prince, tout n’est qu’une question de mythes, de légendes britanniques, de simples idées primaires prenant corps dans un pays dévoré par la peur, la haine, la xénophobie et le replis sur soit. La magie de Constantine n’a plus rien de féerique, revenant à sa source sanglante faites de sacrifices, de drames et d’une exploration de la part d’ombres toujours prompte à envahir les côtes britanniques, de ces vieux démons qui faisaient déjà la terrifiante force des épisodes historiques concoctés par Jamie Delano et Garth Ennis. En bousculant, non sans humour, à nouveau l’univers de John Constantine, décidément plus en décalage que jamais avec le monde qui l’entoure, Spurrier lui permet de retrouver son regard acide et implacable sur la connerie de l’anglais moyen (il adore les hipsters…) et sur ce pays qui s’enfonce dans la crise idéologique et politique. Hellblazer n’est jamais aussi réussi que lorsqu’il est écrit par un anglais en colère (ici sacrément), un auteur rageux qui crache à la face du patriotisme de bas étage et du libéralisme des conservateurs. L’album culmine alors dans une vision dantesque et incroyablement glauque d’une élite forniquant sur le cadavre du géant Albion. Sidérant. Et ce genre de visions glauques et grotesques, les épisodes en présence n’en manquent pas, surtout lorsqu’ils sont illustrés par Aaron Campbell (Uncanny, Infidel), artiste urbain et réaliste, scrutant la crasse sans détour, la tripaille sans esquive et creusant les traits fatigués de ses personnages.
Une prestation qui va clairement marquer l’histoire du personnage et rejoindre sans hésitations une saga éditoriale déjà particulièrement musclée. Impossible alors forcément de ne pas regretter que la série ne s’achève ainsi qu’au bout d’une poignées d’épisodes. Stoppée dans son élan par DC Comics devenu subitement frileux au cours de l’année 2020, évoquant autant la crise du Covid que des ventes insuffisantes, là où beaucoup verrait surtout une charge politique brutale pas franchement assumée par l’éditeur.