SEUL LE SILENCE
France – 2021
Genre : Policier
Scénariste : Fabrice Colin
Illustrateur : Richard Guérineau
Editeur : Philéas
Pages : 104 pages
Date de Sortie : 28 octobre 2021
LE PITCH
Joseph a douze ans lorsqu’il découvre dans son village de Géorgie le corps horriblement mutilé d’une fillette assassinée. La première victime d’une longue série qui laissera longtemps la police impuissante. Des années plus tard, lorsque l’affaire semble enfin élucidée, Joseph décide de changer de vie et de s’installer à New York pour oublier les séquelles de cette histoire qui l’a touché de trop près. Lorsqu’il comprend que le tueur est toujours à l’œuvre, il n’a d’autre solution pour échapper à ses démons, alors que les cadavres d’enfants se multiplient, que de reprendre une enquête qui le hante afin de démasquer le vrai coupable…
Anges damnés
Nouvel incontournable de la littérature polar, R.J. Ellory (Le Carnaval des ombres…) a sans doute signé avec Seul le silence son roman le plus sensitif, le plus éprouvant, le plus humain. Pas étonnant que celui-ci ait donné envie à deux auteurs de BD d’en signer une remarquable adaptation.
Romancier lui-même, Fabrice Colin n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai puisqu’il avait déjà remodelé Chicagoland à la grammaire du 9ème art en 2015. Il semble d’ailleurs en avoir gardé un lien privilégié puisque Ellory a directement apporté son soutien à cette opération. Un vrai respect de l’œuvre originale donc, qui en extrait d’ailleurs une partie des textes dans les dialogues, mais aussi et avant tout dans les cartouches, s’efforçant constamment de rendre au mieux ce mélange de voyage intime et de roman ample s’étalant sur plusieurs décennies. Une longue quête pour Joseph, jeune garçon découvrant le corps d’une fillette qu’il connaissait bien, et qui va continuellement être hanté par cette disparition et les meurtres sordides que subiront d’autres fillettes par la suite. L’enfant devient homme, s’efforce de se créer une vie normale, de concrétiser ses ambitions de romancier, mais continuellement les ténèbres qu’il a entrevu enfin l’empêcher d’accéder au bonheur… Surtout que le meurtrier semble refaire surface et n’hésite pas à s’en prendre aux femmes qu’il aime.
Petites filles perdues
Forcément le passage d’une forme littéraire à l’autre entraîne une certaine forme d’épure ou en tous cas des choix parfois drastiques. Ici clairement Seul le silence se recentre plus largement sur l’enquête proprement dite, soit le fil rouge, laissant finalement la peinture ténébreuse et cruelle d’une humanités apeurée, esseulée, pleine de préjugés (en particulier dans ces années de Seconde Guerre Mondiale) légèrement en retrait. On en perçoit les effluves, on le croise dans les atmosphères lourdes de cette communauté rurale enfermée sur elle-même dépeinte avec beaucoup de justesse par l’illustrateur Richard Guérineau (Le Chant des Stryges). Il scrute avec rondeur et crudité les ténèbres qui enserrent des planches baignées d’un jaune mordoré et les traits de personnages expressifs et vibrants. Reste le cœur de l’histoire, Joseph véritable héros tragique dont la vie n’est ponctuée que de drames et d’espoirs de renouveaux anéantis les uns après les autres, et dont le cheminement naturellement obsessif rappelle celui des protagonistes de Zodiac, jusque dans cette sensation que la résolution de l’enquête, précieusement préservée comme pour le roman, aux toutes dernières pages, est presque anodine face à la peinture d’une existence brisée et gâchée par les horreurs du monde. Entre le grand roman noir à l’américaine et la chronique de l’Amérique profonde à la Stephen King (le héros romancier, les gamins qui créent un groupe de défense…), Seul le silence happe le lecteur de bout en bout, et c’est ce petit miracle que réussissent à reproduire Fabrice Colin et Richard Guérineau.