SEMENCES
The Seeds #1-4 – Etats-Unis – 2018
Genre : Science-Fiction
Scénariste : Ann Nocenti
Illustrateur : David Aja
Editeur : Futuropolis
Pages : 128 pages
Date de Sortie : 09 février 2022
LE PITCH
La Zone est un refuge, à l’abri des drones et de toute technologie, où les gens ont adopté un autre mode de vie, plus sauvage et plus libre. Astra est une journaliste qui se bat pour sa passion et son intégrité professionnelle dans un univers où les fake news deviennent la norme. Lorsqu’elle se rend dans la Zone, elle découvre la liaison interdite entre la téméraire et empathique Lola qui s’est éprise de Race, un extraterrestre doué de sensibilité.
Dernières graines
Ann Nocenti a signé l’un des meilleurs runs de Daredevil avec John Romita Jr à la fin des années 80. David Aja a illustré le meilleur run de Hawkeye avec Matt Fraction au début des années 2010. Loin des mondes de super-héros et de l’écurie Marvel, ils signent un one shot angoissant sur le suicide technologique et environnemental de l’humanité.
Dans un futur proche dystopique, probable ou parallèle, la société humaine est au bord de l’effondrement. Scindée en deux populations, l’une cultivant sa symbiose avec une technologie omniprésente, l’autre la rejetant et tentant de trouver un second souffle dans des terres désolées, l’humanité semble attendre la fin, se contentant de fake news déversées par les media en ligne et de nouvelles drogues permettant soi-disant de percevoir sa mort. Tout n’est que rumeurs et perceptions déviées. Rien n’est vrai, mais tout le devient comme le découvre la journaliste intègre Astra, lorsqu’elle tombe nez à nez avec un extraterrestre, Race, en pleine sortie romantique avec une jeune humaine, Lola. Doit-elle en faire un scoop ou garder le secret ? L’alien doit-il poursuivre son histoire d’amour alors qu’il n’était venu que pour récolter les semences des êtres vivants avant l’anéantissement total ? Plus libre encore que lorsqu’elle œuvrait au sein des éditeurs classiques, Ann Nocenti peut cultiver ouvertement sa vision inquiète, mais pertinente, de l’avenir, et brasser des réflexions sociétales et écologiques, et même expérimenter dans son découpage narratifs.
Désordres
Le point de vue change fréquemment, les ellipses et ruptures sont constantes, tandis que les trajectoires et les motivations de nombreux personnages semblent aussi obscures qu’instables. Pas toujours facile pour le lecteur de s’y retrouver, mais Semences se décortique plus qu’il ne se parcourt, laissant le soin au lecteur de tisser les liens lui-même, apporter ses propres conclusions, imaginer qu’elle est la nature ce ces créatures venues d’ailleurs, et reconstruire le reste d’un arrière-plan chronologique volontairement obscur. En quête d’une vérité. En quête de beauté et d’espoir aussi. Ce qui est singulièrement porté par la simplicité des sentiments amoureux et l’omniprésence, constamment menacée, des abeilles et d’autres insectes pourtant d’apparences insignifiants. Dans ce monde incroyablement sombre et désespéré, Ann Nocenti laisse apparaître quelques faibles lueurs plus tendres et chaleureuses. Heureusement, elles sont magnifiquement mises en lumières par David Aja qui joue souvent la carte du minimalisme au milieu d’une masse écrasante de décors froids, massifs et poisseux. Avec ses trames très marqués comme de vieilles photos sur un papier journal à peine rehaussées d’un charmant vert caca d’oie, les pages de Semences transmettent parfaitement cette sensation envahissante de pourrissement et de lent étiolement. Une approche graphique très particulière, volontairement peu agréable, qui finit de donner à cette triste fin du monde des airs bien ordinaires.
Très atypique dans le paysage de la BD américaine, Semences a été partiellement publié en fascicules aux États-Unis avant de connaître une réédition intégrale plus appropriée, au sein de la collection dirigée chez Dark Horse par Karen Berger, l’ancienne directrice de Vertigo. Et c’est loin d’être anodin.