SAINT ELME T.1 : LA VACHE BRÛLÉE
France – 2021
Genre : Policier
Scénariste : Serge Lehman
Illustrateur : Frederik Peeters
Editeur : Delcourt
Pages : 80 pages
Date de Sortie : 13 octobre 2021
LE PITCH
Le détective Franck Sangaré, accompagné de son assistante, l’étrange madame Dombre, débarquent à Saint-Elme, une petite ville de montagne réputée pour son eau de source. Ils sont sur les traces d’un fugueur disparu depuis trois mois : enquête apparemment facile. Sauf qu’à Saint-Elme, tout le monde vous le dira : « Ici, c’est spécial. »
La vie, l’amour, les vaches
Comme pour L’Homme gribouillé publié il y a trois ans, Saint Elme est une autre exploration d’un paysage, mythologique, typiquement européen. Un village montagnard et isolé, des personnages étranges et méfiants, car, comme le dit la 4ème de couverture, « Ici, c’est spécial ».
L’album s’ouvre sur une simple livraison de drogue dans les montages. L’affaire se passe bien mais l’un des truands aperçoit un symbole sur une fenêtre et découvre un petit garçon kidnappé. Ils tirent sur tous les autres, planque le gosse dans une cabane et finit sa route pas loin du panneau d’entrée de ville de Saint Elme. Le décor est planté. Ou plutôt une partie du décor tant cette nouvelle création de Serge Lehman et Frederik Peeters se veut un feuilleton choral. A Saint Elme les habitants ne sont pas si nombreux que cela, mais occupent largement l’avant plan du récit, entre la famille de nantis (dont l’emprise s’est faite par la distribution de l’eau de source) qui aimerait transformer les lieux en « place to be », un détective à la recherche d’un jeune homme disparu, une adolescente en vacances et certainement trop curieuse et une communauté écologiste qui dérange. Et puis il y a ces grenouilles qui semblent tomber du ciel et envahir la région, se faisant écraser plus ou moins volontairement par les passants. Un petit monde à la Twin Peaks où l’on sent bien que la trame de polar qui charpente le tout est surtout là pour révéler les petits secrets de tout le monde, et pourquoi pas plonger dans le mysticisme local.
La montagne ça vous gagne
Une formule assez classique finalement, mais que l’auteur de Masqué et Metropolis, compose avec un sens du rythme indéniable, alternant les atmosphères, feutrées, percutantes, curieuses, et les tranches de vie avec au milieux d’authentiques sorties de route. Comme cette vache en feu annoncée par le titre, qui traverse de nuit la vallée dans un grand moment de délire macabre, et finit sa route, abattue, au pieds de deux cyclistes. Une séquence centrale qui annonce bien entendu la montée de violence attendue, et qui donne à Frederik Peeters le loisir d’exposer quelques nouvelles planches virtuoses, frappant d’emblée par la force de ses aplats de couleurs tranchés et l’élégance de son découpage. S’imprégnant totalement des règles du genre, et plus largement des codes du film néo-noir, il compose et décompose ses cadrages à loisir, cultive les angles de vue prononcés, jouant sur les déformations d’objectifs ou les perceptions au travers d’obstacles, pour distiller cette ambiance dérangeante si chère à David Lynch, l’inquiétante étrangeté (l’Unheimliche). Le lecteur est irrémédiablement séduit par la beauté formelle de l’objet, par les qualités d’écriture, mais même si ce premier tome enchaîne quelques retournements de situations dans les dernières pages, il s’apparente pour le coup à une longue phase d’exposition où manque encore le vrai grain de sel qui donnera toute sa saveur au tableau d’ensemble. On sent bien ainsi que Saint Elme fut un temps imaginé, à l’instar de L’Homme gribouillé, comme un unique volume pouvant ainsi distiller lentement et sûrement son poison. Peu de doutes alors que la suite (le second est déjà annoncé pour janvier 2022) révèle quelques secrets plus corsés.