RORSCHACH
Rorschach #1-12 – États-Unis – 2020/2021
Genre : Thriller
Scénariste : Tom King
Illustrateur : Jorge Fornés
Éditeur : Urban Comics
Pages : 320 pages
Date de Sortie : 03 juin 2022
LE PITCH
Cela fait 35 ans qu’Ozymandias a téléporté un monstre tentaculaire sur New York, tuant des milliers de personnes et détruisant une fois pour toutes la confiance du public dans ses protecteurs. Depuis cette catastrophe, Rorschach est devenue une icône culturelle fascinante, symptôme d’un monde en perte de repères. Lors de la tentative d’assassinat d’un candidat populiste, on abat un homme portant le masque de Rorschach. Qui est l’homme derrière le masque, et surtout quelles étaient ses motivations ?
Sous surveillance
Rorschach est mort ! Vive Rorschach ! 35 ans après les évènements de The Watchmen l’anti-héros délirant et antisocial d’Alan Moore et Dave Gibbons reprend sa croisade dans une suite entre polar noir et réflexion méta. Une trame fantôme et des formes mouvantes toujours aussi insaisissables.
Après des années de résistance, en 2012 une ligne fatidique était franchie : avec les séries de Before Watchmen DC comics revenait définitivement sur le respect de la promesse faite à Alan Moore de ne jamais donner de suite ou d’extension à son œuvre la plus célèbre. A la préquelle de fanboys a suivi la suite osée Doomsday’s Clock en 2017 réintégrant directement l’univers dystopique dans la chronologie officielle de l’éditeur. Alan Moore a certainement organisé une messe noire pour les faire payer ! Avec Rorschach cependant on revient un peu plus à ce qui faisait la force de la série historique, reprenant le format d’un récit auto-contenu en 12 numéros, préservant le rythme lourd et presque monolithique exposé en gaufriers réguliers mais sans jamais singer David Gibbons et surtout scrutant sous couvert de fiction policière le monde réel. Non plus hanté par les fantômes du Vietnam, le Watergate et l’effondrement du rêve américain, mais celui plus paranoïaque encore des manipulations des médias, du complotisme, de la montée de la haine et des extrêmes, de la célébration des idéologie réactionnaires. En cela le Rorschach de Tom King, superbement mis en image par Jorge Fronès (Batman, Wolverine and the X-Men) pourrait presque s’inscrire dans la même logique que l’excellente série « suite live » de Damon Lindeloff, auquel il est d’ailleurs fait allusion au détour d’un court dialogue. Voici donc le monde d’après l’apocalypse, après le poulpe géant et les quatre mandats de suite d’un Président Redford sans doute trop démocrate pour son bien, où finalement tout ressemble plus que jamais aux environnements froids et humides des polars paranos des 70’s.
« A quoi cela vous fait penser ? »
D’où démarre une nouvelle fois d’une exécution de personnages masqués, Kid mais aussi un ersatz de Rorschach, et le détective chargé de l’enquête (dont on ne connaitra jamais le nom) tente de remonter le fil de personnages plus ou moins déconnectés entre méfiances de l’état et de l’ordre, mythes aliens et fascinations pour un règne super-héroïque totalement disparu. Une construction de roman noir, où bien entendu les indices et découvertes semblent se resserrer constamment autour du protagoniste comme un piège tandis que Tom King ne cesse de questionner la nature du masque, son absence d’idéologie (du vigilante droitier de l’original aux rebelles libertaires ici) et ses liens avec l’identité d’une nation en perte de repère. Pour qui a déjà lu les œuvres précédentes de l’auteur, de Mister Miracle au plus récents Strange Adventures, rien de vraiment surprenant en définitive, mais la manière dont il y mêle certaines caractéristiques du media comics semble cependant plus aboutis qu’ailleurs. Car Watchmen était bien entendu une réinvention / hommage de certaines figures de la Charlton repris ensuite par DC, et Rorschach multiplie les niveaux en plaçant de manière symbolique sous le fameux masque où chacun y projette ses propres fantasmes, deux auteurs de comics assez connus pour leurs sorties de route conservatrices (pour le dire avec diplomatie) : Steve Ditko créateur de The Question et Frank Miller dont l’analyse de The Dark Knight Returns continue de partager les puristes. Dans cette évolution des mentalités la bande dessinés, et surtout sa fabrique à übermensh a forcément sa part de responsabilité et un impact certain sur l’imaginaire global.
Une série toujours très intéressante, épaisse et ambitieuse, même si on a parfois l’impression que Tom King ploie lui-même, forcément, sous le poids écrasant de l’héritage The Watchmen.