ROGUE TROOPER : LES VALLÉES D’ALBION

2000 AD Progs 2326-2335, 2337-2339 – Royaume-Uni – 2023
Genre : Science-fiction
Dessinateur : Patrick Goddard
Scénariste : Garth Ennis
Nombre de pages : 104 pages
Éditeur : Delirium
Date de sortie : 7 mai 2025
LE PITCH
Tandis que les Sudiens et les Norts s’affrontent dans une guerre sans fin dont même l’origine a été oubliée, le ROGUE TROOPER, dernier survivant d’une unité de fantassins conçus génétiquement pour être adaptés à cet environnement mortel, parcourt les ruines de Nu Earth à la recherche des responsables de la mort de ses camarades. Mais une faille temporelle va le projeter au cœur du no man’s land, en pleine première Guerre Mondiale.
Tant qu’il y aura des hommes
Si 2000 A.D. est le magazine du Judge Dredd, il n’est pas seulement le magazine du Judge Dredd. Parmi les nombreux anti-héros récurrent de la publication, on trouve aussi le bidasse de l’espace Rogue Trooper dont Delirium propose pour la première fois une traduction en France. En avant ! Marche !
Magazine culte et incontournable de la contre-culture britannique, 2000 A.D. fut donc en 1981 le berceau d’une nouvelle grande figure du strip-comics : Rogue Trooper. Un soldat ultime, génétiquement modifié et constamment accompagné de trois anciens compagnons d’armes dont l’esprit a été transféré dans des puces amovibles, imaginé par le scénariste Gerry Finley-Day (Invasion !, Dan Dare, Judge Dredd…) et le dessinateur Dave Gibbons (The Watchmen). Le symbole d’une guerre éternelle, plongeant un futur lointain dans un chaos militaire dévastateur, opposant sur la planète Nu-Earth les Norts (fascistes) et les Southers (plus démocratiques). La publication met forcément en avant l’action, l’humour noir, les batailles spectaculaires et futuristes, mais tisse aussi des réflexions plus profondes sur l’autodestruction humaine, la futilité des quêtes de pouvoir et plus généralement s’affirme comme une critique ouverte de la guerre, presque toujours déclenchées pour de très mauvaises raisons. Si les références à certains véritables conflits historiques (la guerre d’indépendance, la Seconde Guerre Mondiale…) ont été fréquentes tout au long d’une fructueuse carrière éditoriale (accompagnée de reboot, de spin-of, de romans, de jeux vidéo…), Garth Ennis franchit le pas en projetant directement le soldat ultime dans les rangs d’une troupe britannique paumée en plein no man’s land. Un trou noir servant de vecteur d’invasion pas vraiment stabilisé et le tour est joué, Rogue Trooper revit celle qu’on appelait la der des ders, rampant dans les tranchées, fusillant de l’allemand tout en tentant de retrouver le chemin de la maison.
« C’était pas ma guerre »
Un voyage dans le temps et l’espace qui permet justement de souligner mieux que jamais l’incongruité des deux conflits séparés par quelques milliers d’années, mais aussi ce sentiment d’abandon et de désespoir de pauvres appelés face à un quotidien apocalyptique, essentiellement habité par la mort. L’album livre son lot d’affrontements et de confrontations bien généreux en massacres et hémoglobine, mais le scénariste est tout aussi connu pour son intérêt récurrent pour la psychologie du brave soldat. D’un célèbre et inoubliable flashback montrant le Punisher rompant déjà avec la réalité en plein conflit du Vietnam jusqu’à ses anthologies Histoires de guerre en passant par certains épisodes de Fury ou War is Hell, Le soldat inconnu et Rover Red Charlie, l’auteur sait manier un ton particulièrement cruel, sévèrement burné, avec une vision consciente et mélancolique de la guerre. Ce Les Vallée d’Albion s’inscrit parfaitement dans cette continuité, décrivant avec forts détails et humanité la personnalité des membres de la petite troupe, s’arrêtant sur l’héroïsme de leurs sacrifices, tout autant que leurs réflexions sur leur condition et celle de toute l’humanité. Et l’argument SF permet même dès lors de laisser échapper le récit vers quelques planches plus métaphysiques. Culotté le Ennis, comme toujours, qui retrouve au passage un très solide allié en la personne de Patrick Goddard, signature bien connue des lecteurs de 2000 A.D. et de Judge Dredd, véritable héritier du réalisme outré et musclé de l’école anglaise allant de John Wagner à Brian Bolland en passant par Steve Dillon et bien entendu Dave Gibbons. Son travail du noir et blanc est absolument impeccable, le réalisme historique se marie parfaitement avec le space-opera à l’ancienne et les planches sont de véritables petits trésors d’expressivité et de détails scabreux. On s’y croirait…
Premier album français pour Rogue Trooper donc, avec certes un strip plutôt récent et au concept très marqué, mais qui grâce aux deux belles signatures accolées, permet de faire un joli coup de projecteur sur le personnage et son univers. On espère vraiment que Delirium pourra en poursuivre l’exploration.