REMINA
地獄星レミナ – Japon – 2005
Genre : Science-Fiction, Horreur
Dessinateur : Junji Ito
Scénariste : Junji Ito
Nombre de pages : 295 pages
Éditeur : Delcourt / Tonkam
Date de sortie : 30 août 2023
LE PITCH
Le professeur Oguro découvre une planète inconnue apparue soudainement par un trou de ver » et la baptise « Rémina » du prénom de sa fille unique. Sa trouvaille est applaudie partout dans le monde, et sa fille devient du jour au lendemain l’idole des foules… mais la planète Rémina avale les autres planètes les unes après les autres et menace maintenant notre globe !
La femme est une planète comme les autres
Nouvelle réédition d’un classique de Junji Ito chez Delcourt / Tonkam avec Remina, récit astronomique d’une planète errante qui s’apprête à dévorer la nôtre. Une apocalypse atypique dans la bibliographie de l’auteur, définitivement fataliste, aussi plus délirante que jamais comme une farce terriblement cruelle.
Tels les premières pages d’un célèbre album de Tintin, des scientifiques découvrent un astre inconnu, une nouvelle planète. Si tout d’abord celle-ci est célébrée comme une grande découverte scientifique et entraine une certaine fascination de la part des terrien (faisant même de la fille éponyme du scientifique la star du moment), son rapprochement progressif de la terre et sa faculté à détruire une à une les planètes de notre système solaire inquiètent au plus au point. Se déroulant dans un futur relativement naïf (on pense même à Tezuka), Remina met constamment en opposition deux menaces aux échelles diamétralement opposées. D’un coté donc ce fameux globe gigantesque qui va se révéler posséder des sortes d’yeux et même une langue tentaculaire, et de l’autre des foules humaines terrifiées retombant en quelques pages dans leurs pires travers et une recherche nécessaire d’un bouc émissaire. Ce sera Remina (la jeune fille) et son père, que la masse menée par des gourous encagoulés voudront offrir en sacrifice à ce dieu courroucé venu de l’espace.
Folie sidérale
Ito étudie une nouvelle fois avec cruauté la nature humaine, ses actions toujours menées par la peur, l’auto-préservation, mais aussi des notions plus larges comme la hiérarchisation sociale (ici des milliardaires vont tenter de s’échapper à bord de leur fusée) et d’une certaine façon la versatilité des jeux médiatiques et de la popularité. Poursuivis à travers un monde qui tombe en ruine, battue, blessée, humiliée, crucifiée, la pauvre Remina se renferme alors dès lors derrière un regard non pas hagard et absent, mais doté d’une terrible résignation, un fatalisme sans appel devant la bestialité et la violence de ses concitoyens. Un jugement sans fard et une illustration sans détour de la folie des hommes (les visages sont comme toujours hantés), et pourtant Remina se révèle un manga horrifique presque plus light que d’habitude avec des morts et massacres le plus souvent hors champs, écrasés sous la grandiloquence de cette apocalypse planétaire. Surtout, le mangaka cultive plus que jamais son sens de l’absurde, du décalage baroque voir du grand n’importe quoi grotesque. L’apparence tout d’abord de la fameuse planète dévoreuse (on est loin du gigantisme cosmique d’un Lovecraft par exemple), mais aussi par les nombreuses péripéties qui attendent Remina, la fille, et ses alliés souvent temporaires, tombant sans cesse de charybde en scylla, pourchasséspar une foule grandissante et obnubilée qui comme dans un final de Benny Hill ne s’embarrassera même plus in fine de réagir aux transformations d’atmosphères et de pressions embarquant tout le monde dans les airs dans un joyeux ballet mortel.
Des visions sidérantes pour une rencontre d’un tout autre type qui teinte véritablement ce manga de tonalités et de couleurs très particulières dans l’univers de Junji Ito. Plus classique mais néanmoins intriguante et révélatrice des distanciations sociales existantes au Japon, la courte nouvelle « Des milliards de solitude » vient clore le présent volume. Un récit impeccablement maitrisé et parsemé de planches effrayantes (et pour les premières en couleur!) de corps cousus les uns avec les autres qui avaient déjà fait sensation dans le recueil Histoires courtes publié chez le même éditeur.