Présenté au départ par ses auteurs comme une petite expérimentation éditoriale, Reckless vendu directement aux USA sous la forme d’un album, ou livre, est rapidement devenu leur nouvelle passion. Un nouveau polar souvent poisseux, plongeant dans les méandres de l’histoire américaine, dans les zones d’ombres des années 80, où l’ancien agent infiltré de la CIA Ethan Reckless à laisser quelques squelettes dans le placard. Un solitaire cinéphile, rapidement bousculé par l’arrivée d’Anna Keller, grande adolescente, jeune femme un peu paumée mais pleine d’esprit et d’effronterie qui réussit à s’immiscer dans sa vie, à l’épauler dans ses enquêtes et reprendre en main le cinéma autrefois tombé en ruine. Écrivant ses volumes les uns après les autres sans forcément prévoir de grands plans, se laissant entrainer par les évènements et ses personnages, Ed Brubaker a donc vu la demoiselle prendre de plus en plus de place, grandir et s’imposer comme une figure incontournable de la série. Enchainement logique donc avec Ce Fantôme en toi qui profite qu’Ethan soit en mission à San Francisco pour donner toute la place à Anna, responsable des lieux et qui voit débarquer une ancienne idole de sa jeunesse, ex scream queen croisé à Elvira, qui a besoin d’aide.

Second couteau bien aiguisé

La voici donc enquêtrice solo, arpentant une demeure dont les fondations remontent à la naissance d’Hollywood et que l’on dit tour à tour hantée ou détentrice d’un trésors cachés dans ses murs. L’occasion une nouvelle fois de remodeler quelques légendes urbaines locales, d’infuser quelques faits divers bien connus, pour construire une trame certes moins alambiquée que les trois opus précédents, mais néanmoins toujours aussi brillamment amenée, construite et évocatrice. Mais surtout, l’album est l’occasion rêvée pour découvrir un peu mieux la protagoniste car cette affaire teintée (seulement teintée) de surnaturel croise quelques souvenirs d’enfances et marque le retour de la mère d’Anna, ex-alcolo et droguée, dans sa vie. Des rapports conflictuels, entre défiances, besoin de protections et de reconnaissance, où la rédemption n’est jamais chose aisée, qui imprègne à nouveau les évènements d’une épaisseur émotionnelle toujours aussi marquante et sincère. Toujours un authentique plaisir de lecture où l’incontournable Sean Phillips manie parfaitement son trait stylisé, légèrement épuré et impressionniste, pour mieux mêler un réalisme social palpables et des atmosphères de romans noirs qui ne sont jamais bien loin ici d’un récit d’épouvante gothique classique. Anna méritait bien tout ce soin et une aventure solo aussi accrocheuse et Reckless continue de s’imposer comme l’une des œuvres phares des créateurs de Criminal, Fatale, Velvet ou Fondu au noir.