RANDOLPH CARTER T.1 : LA VILLE SANS NOM
France – 2024
Genre : Fantastique
Dessinateur : Jovan Ukropina
Scénariste : Simon Treins
Nombre de pages : 56 pages
Éditeur : Soleil Éditions
Date de sortie : 5 juin 2024
LE PITCH
Engagé dans la Légion, Randolph Carter est blessé, seul survivant d’une attaque à Belloy-en-Santerre. Soigné à Marseille, il se lie d’amitié avec un autre légionnaire. Il est témoin du suicide d’un marin américain rescapé du pacifique sud, rendu fou à la suite d’un naufrage. En 1917 ils sont volontaires pour partir au Levant et participent à la campagne de Cilicie.
The Dream-quest
Lovecraft encore et toujours. Un imaginaire comme un terreau vivace pour de nombreux auteurs et créateurs qui y piochent allègrement cultes, visions et mythologies mais aussi, plus rarement, des personnages complets comme Randolph Carter. Très rare figure récurrente des textes Lovecraftien qui devient ici le héros d’une nouvelle série d’albums.
Si les nombreuses nouvelles et poèmes de l’écrivain maudit de Providence sont presque entièrement charpentées par une même mythologie, et donc des créatures, dieux et textes sacrés partagés, rares sont dans son œuvre les figures humaines qui dépassent la simple apparition… ceux-ci étaient le plus souvent dévorés ou plongés dans une folie dont ils ne ressortiront jamais. A ce titre, Randolph Carter a véritablement un statut unique puisqu’il figure comme protagoniste de pas moins de cinq textes et est même mentionné dans les pages du roman L’Affaire Charles Dexter Ward. Il faut dire que par la description de certains traits physiques et certaines afflictions de caractère, sans compter sur une carrière de romancier incompris, on peut aisément y reconnaitre Mr Lovecraft en personne. De témoin terrifié par l’innommable aperçu dans The Statement of Randolph Carter à aventurier du monde des rêves dans The Silver Key, le personnage se transforme, évolue, autant qu’on lui découvre un passé militaire et même quelques ancêtres versés dans la sorcellerie. Apparu dans le petit monde de la BD il y une petite poignée d’année, Simon Treins (Tuez de Gaulle, La Compagnie Rouge…) a manifestement bien potassé son petit parfait lovecraftien et fait quelques recherches pour bien retisser les liens entre les différentes visions et surtout les rares éléments disponibles pour le caractériser pleinement.
Venu d’ailleurs
Dans le premier tome de cette série qu’il entend lui consacrer, on le retrouve donc encore soldat de la Légion étrangère, au cœur de la Bataille de la Somme, découvrant en guise de soldats allemands, une horde de goules déboulant sur son unité dont il ne sera que l’unique survivant. Le début d’une aventure qui en se basant sur les moments clefs de sa biographie connue, s’amuse à aplanir et rationaliser les éléments des premiers écrits, à disposer une menace qui servira de liant et à embarquer le tout vers une forme de recherche au trésor (ici la fameuse cité de Kadath) où le fantastique débridé résonne aussi bien que dans un Indiana Jones. De belles intentions qui ne peuvent que ravir les amateurs du romancier, même si on peut avoir pour l’instant l’impression d’assister à un résumé très appliqué de la page wikipedia et qu’on l’on peine clairement à reconnaitre le Randolph Carter angoissé, stoïque, personnage discret et presque lunatique, remplacé ici par un héros nettement plus proactif. Une patine un peu trop normative poursuivie par des planches finalement assez chaudes et colorées où seule quelques visions, très réussies, des morts qui marches et d’un ancien géant s’érigeant hors des océans impressionnent vraiment. Illustrateur qui travaille le style léger et dynamique souvent présents chez les éditions Soleil, Jovan Ukropina (V-Girls, Là où vivent les morts…) livre une copie de bonne qualité, agréable et efficace, mais qui ne porte pas forcément la démence inquiétante des mondes lovecraftiens.
Petite mise en bouche pour cette nouvelle série Randolph Carter qui fait tout pour satisfaire les amateurs de Lovecraft, mais a qui il manque ce petit quelque chose de vénéneux, d’insondable et d’effrayant pour toucher au but. Mais peut-être n’est-ce là que le début du voyage ?