QUELQUE CHOSE DE FROID

France – 2024
Genre : Policier
Dessinateur : Hugues Labiano
Scénariste : Philippe Pelaez
Nombre de pages : 64 pages
Éditeur : Glénat
Date de sortie : 6 mars 2024
LE PITCH
Ohio, 1936. Ethan Hedgeway est un truand qui a trahi Frank Milano, le parrain de la pègre de Cleveland. S’il pensait pouvoir mener une vie paisible ensuite, c’est raté. En guise de réponse, Milano réfugié au Mexique, démembre sa femme. Hanté par ce massacre, Hedgeway décide de revenir à Cleveland à la grande surprise des policiers qui comptent bien profiter de son retour pour lui soutirer de précieuses informations. Les autorités l’installent dans un hôtel minable où Ethan va faire la connaissance de personnages aussi baroques que lui, telle la ravissante unijambiste Victoria Jordan.
Dernière heures à Cleveland
Trois touches de noir, c’est le titre d’un nouveau triptyque à paraitre chez Glénat. Trois one-shot qui rendent hommage aux classiques du cinéma et du roman noir avec des albums à l’esthétique sophistiquée et aux affaires sombres et tortueuses… Enfin c’est ainsi que nous le vend le premier Quelque chose de froid.
Pas besoin de lire le très intéressant cahier de huit pages qui achève l’album, retraçant la naissance du film noir et soulignant ses plus grandes lignes esthétiques et thématiques, pour s’assurer que Philippe Pelaez (Chroniques américaines, L’Enfer pour aube, Maudit sois-tu…) est un authentique amoureux du genre et un fin connaisseur. Dès la première planche tout est là avec ce petit monologue fataliste et ironique scrutant déjà la mort, et les cadavres, en gros plan, et l’apparition, dans l’ombre, du personnage central, Ethan, ancien gangster repenti de retour dans sa ville et déjà cueilli par la police. L’ambiance noire à souhait est posée, et ne va faire que s’épaissir tout au long du récit alors que les rouages du polar s’enfoncent généreusement dans une Amérique toujours aussi marquée par la crise de 29, où se croisent les amputés et les gueules cassée de la Première Guerre Mondiale, les pauvres ères des bidonvilles et l’un des premier serial killer de l’histoire américaine : Torso. Un meurtrier jamais identifié qui laissait sur les rives et dans les bois de Cleveland des restes découpés de cadavres mutilés. Tout cela bien entendu sous le regard d’une police dépassée et souvent corrompue, et des tueurs à gages envoyés par Frank Milano pour se venger de la trahison d’Ethan. Chassé-croisé dans les ruelles assez mal famées, règlement de compte meurtrier dans un train, poursuite au cœur de la nuit, le ballet sanglant ne s’arrête jamais totalement… Seulement quelques instants lorsque notre « héros » faiblit pour les charmes de Victoria rencontrée à l’hôtel et en quête elle aussi de chaleur humaine.
American Death Trip
Quelque chose de froid ravive les grandes lignes du récit noir, presque historique, mais ne se laisse jamais empêtrer dans ses références ou dans une déférence trop lourde aux anciens classiques hollywoodiens, se rapprochant plutôt de visions plus brutes, plus réalistes et plus cruelles héritées de romans bien plus récents, à l’instar des œuvres de James Ellroy (et on ne dit pas que ça pour la référence au Dahlia Noir). Ici aussi personne n’est jamais totalement honorable, sauvable, et surtout pas le narrateur de l’histoire dont la vengeance, relativement légitime au départ, va prendre un tournant de plus en plus inquiétant, violent et malade, alors qu’Ethan se fait rattraper par ses vieux démons. Une BD aussi séduisante et dangereuse qu’une femme fatale, admirablement mise en image par l’excellent Hugues Labiano (Black Op, Le Lion de Judah, Matamor…) aux planches finement ciselées, toujours pointues et précises, mais élégamment emportées par une atmosphère prégnante, comme si le soleil ne se levait plus, comme si tout n’était plus que nuit et ombres qui s’étirent. Des planches superbes, solidement découpées, et qui peuvent être aussi bien appréciées dans une édition Noire et Blanc à tirage limitée, que dans une version plus classique et colorisée par Jérome Maffre. Mais attention là aussi le noir et blanc prédomine avec quelques variations de gris veloutés, de bleu nuit et de rares, mais spectaculaires, explosions de rouge. Car sous le froid des corps et des âmes, le sang est toujours prêt à jaillir.