PULP
Etats-Unis – 2020
Genre : Policier
Scénariste : Ed Brubaker
Illustrateur : Sean Phillips
Editeur : Delcourt
Pages : 72 pages
Date de Sortie : 12 mai 2021
LE PITCH
Max Winters, un écrivain de Pulps dans les années 1930 à New York, est entraîné dans une histoire qui rappelle celles qu’il écrit pour cinq cents le mot – des histoires mettant en scène un hors-la-loi du Far West qui rend justice à coups de revolver. Max sera-t-il aussi efficace que ses héros face à des braqueurs de banque, des espions nazis et des ennemis issus de son passé?
La dernière cartouche
Le duo de Criminal, et autres polars racés, Ed Brubaker & Sean Philips, remet le couvert avec une chronique amère de la fin d’une époque. Celle des héros de l’ouest, de l’Amérique des fantasmes et des grands feuilletons populaires publiés dans ces fameux pulps, revues à quelques sous, mais qui auront donnés naissance à de nombreuses légendes.
S’émancipant de plus ne plus des formats comics classiques, Ed Brubaker et Sean Phillips ont proposé cette dernière création directement en TPB aux USA, soit un album petit format, mais intégral, d’un peu plus de soixante pages. Pas d’épisodes à suivre, pas de rattachement à une licence connue, mais une nouvelle plongée dans les univers film noir du binôme. Un roman graphic comme on dit parfois, qui va à l’essentiel, retrouvant justement l’efficacité sobre des romans de gare dont il s’inspire. Récit donc d’un ancien porte-flingue, qui aurait dû se mettre à la retraite depuis bien longtemps si la réalité de la vie ne l’avait pas rattrapé et obligé à enchaîner les piges. Contacté par un ancien de la Pikerton qui fut longtemps sur ses traces alors qu’il était gangster dans le lointain ouest sauvage, il se sent prêt à rempiler autant pour de pures questions économiques, pour des questions morales (braquer une organisation nazi américaine), que sans doute pour marquer sa vie d’un ultime haut fait, Max sentant sa fin proche après un premier accident cardiaque en forme de signal d’alarme. La fin d’une époque en sommes qu’Ed Brubaker a la pertinence de placer à cheval sur deux époques. D’un côté le New-York des années 30, celui de la prohibition et des gangsters élégants à étuis à violon, et de l’autre celui du western qui façonne autant les souvenirs du héros que la série de nouvelles romancées qui sont devenues son gagne-pain.
Les dernières balles
L’occasion pour l’auteur de rappeler brièvement le statut précaire, déjà, de ces auteurs floués par leurs éditeurs (annonçant directement le système des comics), et de creuser une fois encore l’angle méta, la mise en perspective entre fiction et réalité. Le récit oscille alors constamment entre les deux, sur le fil, s’efforçant de retrouver la fibre héroïque et presque romantique des récits fondateurs, tout en rappelant systématiquement la cruauté ou la tristesse du quotidien. Pulp se révèle ainsi à la fois la dernière aventure d’un vétéran qui, comme dans l’Impitoyable de Clint Eatswood, n’a plus d’autre espoir que de partir avec un minimum d’honneur, et la mise en perspective d’une nation qui s’est empressée de transformer ses cowboys en outlaw pour mieux installer ses inégalités, ses injustices. Pulp est ainsi un exercice assez fascinant, presque épuré dans sa narration, sobre et efficace dans sa construction, mais puissamment nourri par un regard acéré sur les genres et les mythes qu’il approche. Et celui qui prend le plus cher reste le mythe américain, dont Brubaker n’hésite pas à rappeler une nouvelle fois l’intolérance et la brutalité dont il peut faire preuve. Un album mélancolique et désenchanté, pour ne pas dire morose, où une fois encore Sean Phillips se place comme le complément indispensable, croisant les deux atmosphères, les masses opaques du film noir et les couleurs chaudes des trames d’un western de BD, pour laisser affleurer une âme profondément humaine, une précision des décors et un réalisme brossé des personnages, qui n’oublie jamais l’émotion vive.
Une nouvelle réussite à mettre à leur acompte certainement, mais Pulp est peut-être aussi l’une de leur publication qui s’approche, par son épure d’une rare justesse, aussi fermement de la perfection. Si tant est qu’elle existe.