Le monde de l’édition est un monde impitoyable parait-il. Et les auteurs Erwan Courbier et Benoît Dahan en ont certainement fait les frais avec leur première création intitulée au départ Simon Radius Psycho-Investigateur, dont les chiffres de ventes du premier album ne furent pas à la hauteur des attentes de l’éditeur Emmanuel Proust. Changement de crémerie alors avec une réédition du premier tome, sous le titre plus sobre de Psycho Investigateur, suivi enfin de deux albums supplémentaires… avant que l’éditeur Physalis ne mettent la clef sous la porte. Nouveau coup dur. Et il faudra attendre quatre ans supplémentaires pour que ne soit distribué le 4^ème tome chez petit à petit : L’Héritage de l’Homme-Siècle. L’intégrale proposée aujourd’hui par le même éditeur permet enfin de retrouver toute la série sous un seul et même volume (et accessoirement donc chez le même éditeur…) comme la preuve qu’in fine, la bataille a été remportée. Et les auteurs ont bien fait de se montrer persévérants et de forcer le destin car la minisérie est particulièrement atypique et captivante. Une trame de polar de prime abord puisque justement Simon Radius, psychiatre de son état, collabore, plus ou moins facilement, avec la police, s’efforçant de leur communiquer des informations sur la culpabilité et les motivations de criminels présumés. Une serial killer dans Les Fantômes de la culpabilité, un matricide dans Les Voies étouffées et même la disparition de sa propre épouse dans Les Portes dérobées.

Divan mouvant

Sauf que le protagoniste ne se contente pas de discuter avec ses patients, mais utilise une habilité lui permettant d’entrer complètement dans leur esprit (tous aux teintes et formes différentes), de le visiter, l’analyser (les pistes freudiennes sont explicites) afin d’y chercher quelques indices, images refoulées et passées oubliés qu’il traverse sous forme de portes enchainés comme des labyrinthes. Le talent de Benoit Dahan étant ici d’emporter littéralement le lecteur dans le dispositif en assurant des découpages alambiqués et complexes, des compositions tarabiscotées et métaphysiques, mais toujours lisibles, compréhensibles et même logique, poussant ce dernier à quêter lui-même les futures pistes ou des informations à décrypter. A ce titre, l’ultime L’Héritage de l’Homme-Siècle où Radius s’aventure dans le cerveau abimé d’un vieil homme atteint de sénilité à la recherche d’un potentiel trésor pour sa famille, se transforme même régulièrement en livre jeu où les transparences des pages, les pliures possibles, accompagnent le cheminement du personnage. On retrouve un peu ici des expérimentations de Marc-Antoine Mathieu sur ses Julius-Corentin Acquefacques et cette même volonté de faire plier la rigidité de la BD franco-belge, de jouer avec les cadres et la grammaire du medium, mais sans doute avec un coté moins cérébral, plus tourné vers l’enquête, le suspens… et l’émotion. Car Psycho Investigateur est aussi très habile pour superposer les trames et les affaires, afin de les réunir progressivement autour des propres blessures de son héros, de ses origines et surtout des mystères qui entourent le destin de sa femme : psychanalyse bien ordonnée commence par soi-même.  

Inventif, ludique, prenant et même touchant, ce très bel album intégral mérite largement que l’on s’y perde.