PRIMORDIAL
Primordial #1-6 – États-Unis – 2021 / 2022
Genre : Science-Fiction
Scénariste : Jeff Lemire
Illustrateur : Andrea Sorrentino
Éditeur : Urban Comics
Pages : 176 pages
Date de Sortie : 28 octobre 2022
LE PITCH
1957. L’URSS envoie la chienne Laïka en orbite autour de la Terre. Deux années plus tard, les États-Unis réitèrent l’expérience avec l’envoi de deux singes, Able et Baker. Les morts successives des cobayes des missions Spoutnik 2 et Jupiter scellèrent la fin des programmes russes et américains de conquête de l’espace pour réorienter les efforts des deux empires vers l’armement. Lors du démantèlement d’un projet spatial à Cape Canaveral, un scientifique – le docteur Donald Pembrooke – met cependant la main sur un relevé qui prouverait contre toute attente que les animaux auraient survécu…
Conscience Animale
Jeff Lemire (Descender, Trillium…) retrouve son camarade (da !) Andrea Sorrentino de Giddeons Falls et Green Arrow pour emmener le lecteur dans l’espace à la recherche de Laika, Able et Baker, les animaux envoyés là-bas par les scientifiques russes et américains. Et s’ils étaient vivants ?
Décidément toujours en marge, Jeff Lemire est maitre pour imaginer des concepts décalés, des extrapolations scientifiques ultra poussées mais incongrues, dont les enjeux s’avèrent finalement le plus souvent plus émotionnels, familiaux et humains, que l’échelle initiale aurait pu le faire penser. Et Primordial s’inscrit directement dans cette dynamique se présentant en premier lieu comme un thriller politique et paranoïaque des plus opaques, lorsqu’un scientifique se retrouve malgré lui avec la preuve en main que des évènements ont été dissimulés par la NASA. Dans l’univers du comic qui ne cesse de s’assombrir et de s’enfoncer dans sa dystopie, la disparition mystérieuse de la chienne Laika à bord de la fusée russe, et de ses homologues simiesques américains ont convaincu les organisations spatiales de stopper toutes nouvelles expériences de ce type. Le mystère reste entier, mais va entrainer le DR Pembrooke jusqu’en Allemagne de l’est dans l’espoir de lancer un ultime message en direction de ces animaux. Et le scénario de se construire comme un puzzle où viendraient se percuter plusieurs trames avec en arrière-plan les évolutions dramatiques d’un monde resté prisonniers d’une éternelle Guerre Froide, mais aussi le destin de ces braves animaux, entrés en contact avec une force plus grande qu’eux.
Rencontre d’un nouveau type
Un coté 2001 l’odyssée de l’espace mais à quatre pattes, où Jeff Lemire se montre moins volubile qu’à son habitude, laissant aux évènements le temps de se mettre en place et aux personnages, humains ou animaux, de découvrir ce qui les entoure. Car il est évident que Primordial doit être une œuvre contemplative dont l’aspect graphique prévaut et surtout dans laquelle Andrea Sorrentino doit pouvoir donner toute la mesure de son talent. Si on peut avoir quelques petites réserves sur le scénario avec sa fin un peu trop facilement ouverte et son manque d’explication trop important, l’approche de l’illustrateur est un absolu sans faute qui combine une patine à la fois extrêmement découpée et resserrée pour les passages terrestres, s’approchant à la fois de mise en page de journées et des films d’espionnages, et largement plus ample, lumineux et fouillé au-delà de la stratosphère. Volontairement, les traits de nos trois petites bêtes sont ainsi bien plus réalistes, expressifs et attachants, que ceux des humanoïdes, opérant ainsi un parallèle pas forcément inconscient avec l’excellent We3 de Grant Morrison et Frank Quitely, où là aussi il était question de la noblesse animale face aux expérimentations qu’elle subit. Passant d’une vision grandiose d’un ailleurs plein d’espoir et d’envie de découvertes à des retours plus brutaux sur une terre décidément abimée par l’espèce majoritaire, Primordial rappelle que dans un voyage ce n’est pas forcément la destination qui prévaut, mais bien le chemin parcouru.