Après des années d’exclusivités contractuelles pour Marvel ou DC, Brian Michael Bendis retrouvait en 2021 sa totale autonomie. Cela ne l’empêche pas de délivrer encore quelques prestations pour la maison de Superman (dont un run sur le titre Justice League), mais cela lui permet surtout de développer de nouveaux univers loin des codes écrasants des récents de super-héros. Projet de longue haleine finalement accepté aux USA par le très indépendant Abrams Comic Arts, Phenomena respire la liberté retrouvée, la frénésie de création et le besoin d’évasion. Le récit se déroule ainsi sur une terre future ou l’arrivée de ce cette mythique « Cité d’or au yeux » a totalement transformé la vie à sa surface. De l’ancienne civilisation humaine, il ne reste presque plus rien que quelques vagues souvenirs et quelques survivants qui cohabitent assez calmement avec des créatures extraterrestres venues d’un peu partout. Un décors techno-organique entre Mad Max et Neo-Tokyo, des bêtes gigantesques qui surplombent les cités, une technologie rétrofuturiste jamais très loin du steampunk et même un langage déconstruit, le scénariste imagine un vaste monde melting-pot, carrefour de genres et d’influences, qu’il laisse au génial illustrateur André Lima Araùjo le soin de développer en image.

« c’est ta vie, c’est ton destin »

Coutumier des productions mainstream comme Spider-verse ou Young Justice, l’artiste a surtout définitivement posé ses marques avec le thriller Une Soif légitime de vengeance concocté avec Rick Remender. On retrouve ici forcément à nouveau la forte influence de l’esthétique manga, d’autant plus visible que l’album est noir et blanc, mais avec une insistance plus portée sur la dynamique et la précision du trait de Katsuhiro Otomo, allié à la luxuriance imaginaire du grand maitre Moebius et plus largement de l’ancienne école Métal Hurlant. D’ailleurs au-delà des inspirations, Phenomena n’oublie jamais de rendre hommage par quelques visages ou clin d’œil assez touchants à d’autre mentors comme Akira Toryama ou Hayao Miyazaki. Tout cela se mélange très naturellement et donne aux pages une véritable fraicheur, un sentiment de dépaysement et d’aventure, de (re)découverte, alliant la précision constante des contours du dessinateurs et son incroyable efficacité dans le mouvement et le découpage. Bendis est d’ailleurs ici beaucoup moins bavard qu’il n’a pu l’être et se laisse porter lui aussi par la détermination presque juvénile de son trio de héros : Boldon, gamin bavard et naïf, Spike le guerrier cyper bougon mais bien attentionné et Mathilde, détentrice de Gechomech artisanale, un peu voleuse mais pour la bonne cause.

Une petite troupe en quête de nouvelles citées d’or et qui s’efforce sur son chemin de rééquilibrer quelques injustices. Des héros charmants même si très classiques, pour un road-trip vif et imaginatif, bourré d’action, d’humour et doté d’un rythme trépidant. Premier volume d’une trilogie annoncée, ce Phenomena est une excellente proposition et laisse libre court à suffisamment de mystères pour nourrir quelques très belles centaines de pages supplémentaires.