PATIENCE
États-Unis – 2016
Genre : Science-Fiction, Thriller, Comédie dramatique
Dessinateur : Daniel Clowes
Scénariste : Daniel Clowes
Nombre de pages : 184 pages
Éditeur : Delcourt
Date de sortie : 17 mai 2023
LE PITCH
Patience est une histoire d’amour, un récit de science-fiction, une enquête sur un fond de thriller mais Patience c’est d’abord et avant tout une histoire mise en scène avec génie par Daniel Clowes et dont l’amour n’y est pas mièvre, la SF est élégante et l’enquêteur névrosé se révèle plus inquiétant que rassurant. Pourtant on ne lâche pas la lecture de ce roman graphique tant est maitrisé son scénario.
Je t’aime, je t’aime
Dernière œuvre (à cette date) signée Daniel Clowes, Patience revient dans une nouvelle édition au sein de la collection complète qu’ambitionne Delcourt. Un voyage dans le temps et les regrets où l’artiste semble définitivement dire adieux à la jeunesse de ces premières BD avec maturité et lucidité. Fort.
Nous sommes en 2012, Jack et Patience vont être parents ? Heureux, mais inquiets, leur couple reposant sur quelques petits mensonges qu’ils taisent pour protéger l’autre. Nous sommes en 2029, Patience a été assassinée et Jack ne s’en est jamais remis. Nous sommes en 1985, Jack a trouvé un liquide qui lui permet de remonter le temps et tente de sauver l’amour de sa vie. Un pur argument de science-fiction que Daniel Clowes, toujours plus porté sur les personnages et leurs dialogues intérieurs, écarte sur le bord du cadre, offrant quelques visions futures étonnamment normatives, ne s’appesantissant jamais sur la science qui permet la prouesse et jouant, presque insolent, avec les fameux paradoxes temporels pour mieux creuser son improbabilité. De héros vengeur, de détective de l’autre temps revenu en arrière pour sauver sa dulciné et écarté les dangers sur sa route, le vieux Jack se révèle surtout un témoin impuissant, découvrant véritablement, et pour la première fois, celle qu’il aime. Une jeune femme née, comme toujours chez Clowes, dans une petite ville américaine étriquée où toute la communauté semble tourner autour de l’incontournable Diner. Elle qui se promettait a de longues études revient la queue entre les jambes, obligées d’affronter ses années de gamine un peu perdue, sa réputation de fille facile, son ex machiste et violent et une bande de petits cons de riches.
Elle
On ne connait jamais vraiment les autres, et on ne se connait sans doute jamais vraiment soit même déclare Daniel Clowes dans Patience, confrontant son personnage à une vendetta impossible, le poussant vers une réconciliation avec sa douleur, sa peine et surtout avec des remords qui se confondent avec une nostalgie d’un temps qui n’a pas tout à fait exister. L’auteur à 50 ans et porte justement un regard plus distancier et philosophe sur la vie, délaissant les adolescentes pleines d’expectatives de Ghost World, pour un protagoniste qui en reconnait la part de hasard et de chemins abandonnés. De thriller émotionnel à trip mystique à la Jack Kirby pour son adaptation de 2001 L’odyssée de l’espace, Clowes mêle la simplicité de vie ordinaire à un grand plan cosmique comme un immense tableau aux perspectives tronquées et floutées où l’on ne peut percevoir effectivement tous les détours que dans les derniers instants (de la vie et de l’album). Un comic d’une rare maturité, où se recoupent nombres de figures déjà explorées dans ses créations précédentes, mais qui s’imbriquent ici dans un tout inédit, au trait sans doute un peu moins rond et évident qu’autrefois, mais avec un découpage et des compositions maniéristes à la Wes Anderson qui frappent constamment par leur économie, leur précision et leur évidence.
Sublime portrait d’une femme qui réussira à reprendre en main le fil du récit, et d’un homme en paix qui aura appris à lui faire confiance, Patience est un fabuleux suspens sentimental de science-fiction. Parce que oui maintenant, ça existe.