NO FUTURE
France – 2022
Genre : Science-Fiction
Dessinateur : Jef
Scénariste : Eric Corbeyran
Nombre de pages : 128 pages
Éditeur : Delcourt
Date de sortie : 18 janvier 2023
LE PITCH
Michael est un exorciste d’Allemagne réputé, enchaînant les missions dans tous les coins du monde à affronter trolls, gobelins, sorcières et autres monstres mystiques. Sa petite faiblesse : un amour débordant pour le cinéma d’action. Quand il est envoyé au Japon, c’est l’occasion rêvée pour lui de prendre un nouveau pseudonyme : “Akira Kurosawa” ! Seulement, il est encore loin de se douter que cette mission risque de le changer dans tout son être et de bouleverser le cours du monde.
Woke the line
Dans un futur pas si proche et vaguement lointain, l’humanité a dépassé la crise écologique et a enfin grimpé sur l’ultime marche d’une civilisation avancée. Exit les vieilles politiques xénophobes et paternalistes, voici venu le temps du règne des néo-féministe-bobo-vegan-LGBTQIA+. Le cauchemar absolu de Valeurs Actuelles et de la droite française. Un peu celui de Corbeyran et Jef aussi manifestement.
Le propre de la science-fiction est d’extrapoler sur les dérives du monde contemporain et d’en extraire une vision future qui permet de les discuter, de les visualiser parfois à leur extrême, voir à l’absurde. C’est ici le parti pris d’Eric Corbeyran et Jef qui s’emparent des réflexions dit woke de certains mouvements actuels, des grands espoirs d’une jeune génération d’extrême gauche, des excès de représentantes féministes ou de ce que certains verraient comme un diktat d’écologistes forcenés, pour en faire les idéologies aux pouvoirs dans un avenir pas forcément beaucoup plus rose que d’habitude. Un totalitarisme chasse l’autre clame No Future, mais bien entendu avec une caricature excessive et totalement assumée. Les nouveaux ostracisés sont donc désormais les mâles blancs non racisés et cisgenres, interdits des lieux de cultures et de toute forme de reproduction, et il est bien entendu totalement interdit de manger de la viande, de conduire des véhicules à essence ou de fumer la moindre cigarette. Table rase donc sur un XXe siècle auquel font pourtant constamment références les deux héros de l’album, Halen Brennan, mercenaire sexy, badass et anar de droite, et Jean-Claude Belmondeau, même pas cascadeur ou star de ciné, mais rebelle dévoué à l’élimination d’un matriarcat industriel aussi destructeur que l’ordre des siècles précédents.
Sans filtre
Nos deux anti-héros picolent joyeusement (mais en cachette) de la bière, crachent sur leur monde moderne, défoncent les rotules de sbires trans et siliconés jusqu’aux trognons, faisant inévitablement tache dans un décor qui se voudrait aseptisé, contrôlé et admirablement bienpensant. Corbeyran, que l’on a connu dans des registres beaucoup plus sérieux, se fait manifestement bien plaisir, prouvant à nouveau son amour immodéré de la série B (voir sa reprise très réussie de Bob Morane) et s’engouffrant dans une comédie de SF qui n’est pas sans rappeler les bonnes pages de la légende Métal Hurlant dance ce mélange de farce outrancière et d’action couillu. Plus que sur ses rebondissements parfois un peu tirés par les cheveux, sur son complot un poil nébuleux et finalement bazardé par la fenêtre avec un certain je-m’en-foutisme, No Future fonctionne essentiellement sur le naturel rentre-dedans de ses personnages, l’acidité des échanges verbaux et sa volonté constante d’envoyer balader la bienséance stérilisée. Un décor de film de SF digne des années 80-90 dans lequel l’illustrateur Jef (qui à participé aux dialogues justement) se sent comme un poisson dans l’eau, retrouvant ici presque une extension de l’univers destroy et post-apo du Convoi qu’il avait imaginé avec Kevan Stevens. Un poil plus sage dans son découpage, mais toujours aussi diablement efficace, il délivre un nouvel actionner percutant et racé, contenu dans des décors entre Blade Runner et le 5ème élément (dans les deux cas, merci L’Incal) particulièrement fouillés et évocateurs, tout en préservant la patine particulière de ses personnages ultra bien brossés, à l’expressivité frôlant toujours une caricature de cartoon underground.
Mal élevé, déconnant et bourrin… Pas sur que la proposition ne soit sélectionnée à un prochain festival d’Angoulême, mais l’irrévérence ça fait toujours du bien par où ça passe.