NIGHT FEVER
États-Unis – 2023
Genre : Policier
Dessinateur : Sean Phillips
Scénariste : Ed Brubaker
Nombre de pages : 112 pages
Éditeur : Delcourt
Date de sortie : 18 octobre 2023
LE PITCH
En voyage d’affaires en Europe, Jonathan Webb n’arrive pas à dormir. Au lieu de cela, il se retrouve à errer la nuit dans une ville étrangère, avec son nouvel ami, le mystérieux et violent Rainer comme guide. Rainer montre à Jonathan le monde caché de la nuit, un monde sans règles ni limites. Mais lorsque le plaisir se transforme en danger, Jonathan risque de se retrouver piégé dans le noir…
After Hour
Mettant, pour un temps, de coté la série Reckless, le duo Ed Brubaker / Sean Phillips n’en délaisse tout de même pas le bon vieux roman noir. Détour par le Paris des années 70 pour une virée nocturne entre exutoire et cauchemar.
Britannique de son état, Sean Phillips réclamait apparemment depuis un petit moment que son collègue scénariste ne lui propose autre chose à dessiner que les rives ensoleillées de la Californie. Et il a été entendu puisque Night Fever se déroule essentiellement dans les rues parisiennes. Celles des années 70, pas encore noyées sous les néons blafards et un éclairage aveuglant, où l’artiste semble effectivement renouer avec une esthétique plus atmosphérique, plus proche des films noirs aux ombres étendues et aux contrastes fortement marqués. Les couleurs pulp et tranchantes du fils Jacob font le reste, donnant à l’album une ambiance très particulière, citant certes les romans Hard Boiled, mais aussi un magnétisme à la Michael Man et une odeur de souffre plus inquiétante et entêtante. Cadre admirablement installé et peint pour décrire les deux nuits bien étranges que va passer Jonathan Webb, venu vendre son catalogue au salon du livre. Un homme bien rangé, marié avec enfant, mais qui en découvrant la description d’un rêve étonnement proche de l’un des siens dans le dernier livre de leur auteur star, se met à se réfléchir sur sa vie et sur les voies qu’il n’a pas empruntées.
Jonathan in Paris
Une crise de la quarantaine express et une simple décision, suivre un couple masqué qui s’engouffre dans un immeuble, prendre une fausse identité et s’inviter à la soirée, et sa vie bascule. Surtout il se crée une sorte de double, Griffin, conforme au modèle de virilité, d’indépendance et de liberté de ses fantasmes. Une manière de renouer avec les frasques de sa jeunesse, mais aussi de se défouler comme jamais entre les tables de poker où il ramasse tout, la baston dans la rue dont il sort vainqueur, la jolie fille qu’il ramène avec lui… Et son nouveau camarade Rainer, homme charismatique ayant ses entrées partout. Il y a forcément un prix à payer à tout ça, un piège que le protagoniste s’est construit presque tout seul comme une plongée de plus en plus inquiétante et dangereuse dans un univers qui pourrait rapidement vriller au cauchemar. Comme toujours Ed Brubaker maitrise à la perfection son récit, offrant un thriller tendu et sophistiqué, mais où le point de vue du personnage, ses propres questions, ses états d’âmes, restent constamment le moteur de l’intrigue. A tel point que certains passages, perdus dans les effluves de l’alcool ou dans une potentielle drogue glissée dans le verre d’une soirée select et légèrement glauque, tournerait même au bad trip aux lisières du fantastique. Un sacré voyage brutal et dangereux dont Jonathan Webb ne devrait pas sortir indemne… Et pourtant. C’est peut-être là l’ultime touche cinglante de Night Fever, qui montre que toutes les mauvaises décisions ne sont pas toujours punies, et que ce qui s’est passé à Paris… restera à Paris.