NIGHT EATERS T.1 : ELLE DÉVORE LA NUIT
The Night Eaters Book 1: She Eats the Night – Etats-Unis – 2022
Genre : Horreur
Dessinateur : Sana Takeda
Scénariste : Marjorie Liu
Nombre de pages : 208 pages
Éditeur : Delcourt
Date de sortie : 4 septembre 2024
LE PITCH
La vie des jumeaux sino-américains Milly et Billy est dans la tourmente. Tandis qu’ils luttent pour maintenir leur restaurant à flot, leurs parents, Ipo et Keon, sont en ville pour leur rendre visite. Ayant émigré de Hong Kong, ils ont toujours soutenu leurs enfants et sont prêts à les aider. Mais lorsque la famille découvre d’étranges ossements enterrés dans le jardin de la maison voisine, la peur commence à s’installer…
Dons parentaux
Toujours bien occupé par leur série à succès Monstress, les autrices Marjorie Liu et Sana Takeda, trouvent tout de même le temps d’entamer une trilogie de romans graphiques pour l’éditeur indépendant Abrams ComicArts. Premier volume, Elle dévore la nuit, s’avère une nouvelle réussite, entre cauchemar délirant et chronique familiale tragicomique.
Retour aux années COVID où certains se battaient pour faire porter des masques à d’autres, où les restaurants passaient leur temps à rouvrir puis refermer et où de nombreuses familles durent réapprendre à cohabiter dans une atmosphère extrêmement détendue. C’est ici un peu le quotidien de Milly et Billy, deux jumeaux déjà bien empêtrés dans la gestion de leurs enseignes, et dans leurs petit soucis personnels (surtout elle, maitresse de son ex qui lui a continué la fac de médecine), qui doivent qui plus est composer avec leurs parents venant leur rendre visite dans la maison familiale. Pas toujours facile, surtout que si Keon est un père doux, calme et compréhensif, Ipo est un personnage intransigeant, froid, sec et pas des plus tendres. Quasiment une caricature de la mère chinoise qui fait peser le poids du reproche et de la culpabilité d’un simple regard. Sa dernière lubie ? Leur faire nettoyer la maison abandonnée d’en face, invendable, envahie de plante grimpantes et d’une odeur de vase, ancien théâtre d’un crime particulièrement sordide. Une épreuve de passage, une porte ouverte vers un monde terrifiant qui leur était jusque-là inconnu et à la clef quelques révélation attendues sur la véritable nature de leurs parents. Night Eaters est donc bel et bien un contre horrifique qui s’engouffre très généreusement dans quelques détails scabreux, dans quelques visions très J-Horror, voir lovecraftiennes, on ne peut plus efficaces, mais c’est aussi et surtout une très belle réflexion sur la fracture générationnelle.
La grande maison
Entre deux enfants éduqués « à l’américaine » et leurs parents émigrés avec leurs secrets, leurs bagages et une manière de vivre beaucoup plus « asiatique ». Marjorie Liu mène, voir marie, brillamment les deux aspects de l’histoire, y saupoudre de bonnes notes d’humour jouant souvent sur les frictions entre ces caractères, et impose des personnages fortement attachants. Une comédie dramatique, un roman domestique dont on perçoit constamment les échos très personnels, le vécu et la sincérité. Au milieu de quelques visions infernales, des tentacules, des poupées démoniaques et des litres de sang qui coulent, Night Eaters rend hommage aux émigrés de premières générations, aux sacrifices de parents et à leurs maladresses, très délicatement explorés dans de jolis flashbacks à Hong-Kong, aboutissant à un album d’épouvante étonnement tout en tendresse. Un mélange des genres et des tonalités qui n’aurait jamais fonctionné si Sana Takeda n’avait pas à nouveau délivré quelques petites merveilles visuelles. Toujours entre la simplification du manga et la posture des comics, croisant un style presque gracile avec la nervosité d’une série de genre, elle capture avec autant d’efficacité la réalité de ses personnages que l’environnement parfois bien flippant qu’ils traversent. Elle assure en outre un découpage toujours efficace et surtout une colorisation tour à tour chaude et inquiétante qui peu à peu, elle aussi, apprend à jouer sur la nuance.
Après la fantasy ténébreuse de Monstress, Marjorie Liu et Sana Takeda signent un nouveau petit miracle, sans doute bien plus proche de leur réalité, avec Night Eaters enchantement du quotidien d’une famille sino-américaine aussi désordonnée et conflictuelle que la plupart… mais avec une petite note de noirceur en plus.