NEMESIS LE SORCIER – LES HÉRÉSIES COMPLÈTES T.2

Royaume-Uni – 1985/1988
Genre : Science-Fiction
Scénariste : Pat Mills
Illustrateurs : Kevin O’Neill, Bryan Talbot, John Hicklenton, Tony Luke
Nombre de pages : 320
Éditeur : Delirium
Date de Sortie : 21 janvier 2021
LE PITCH
La guerre entre les aliens et les humains fanatisés par TORQUEMADA semble s’être calmée à la disparition du Grand Inquisiteur. Mais revenu d’entre les morts et toujours aussi enragé, il poursuit désormais de sa vengeance TOTH, le fils de NEMESIS, tandis que le sorcier, lui, est prêt à tout pour le sauver, y compris sacrifier la Terre!
#cosmosforall
Échappé des univers punk de la revue british 2000 AD, l’alien magicien et destructeur Nemesis continue sa route au sein de la maison française Delirium. Second volume d’une trilogie intégrale, le luxueux pavé de 300 pages est un concentré de rage et d’expérimentations narratives.
Non, 2000 AD n’est pas que la maison des aventures de l’expéditif Judge Dredd, mais bien le terreau de nombreuses créations qui ont fait la force et l’originalité de la BD anglaise des années 80. Le versant brit de Métal Hurlant où deux des signatures maisons, Pat Mills et Kevin O’Neill (duo qui signera ensuite le fabuleux Marshall Law), imaginèrent un jour un héros hors norme, extraterrestre à la tête en forme de flèche, à la colonne vertébrale apparente, aux pieds de bouc… Une apparence improbable qui ne fait qu’introduire un récit délirant sans doute plus insaisissable encore. N’essayant même pas d’aller chercher le lectorat, ou de lui faciliter la tâche, les courts épisodes, regroupés en « livres » puis en volumes, constituent une vaste toile d’affrontements entre ce symbole libertaire, « sex drugs & rock’n roll » et son négatif absolu : Torquemada, dictateur fou d’un empire galactique humain persécutant les autres espèces à travers les âges. Fortement nourri des montées droitières et fascistes que connut l’Europe durant cette décennie là (Margaret Thatcher, ce n’était pas rien), Nemesis fonce dans le tas, tacle sévèrement les nazis de tous poils et écrase la bêtise humaine de ses sabots aiguisés.
Le nemesis de mon nemesis est Nemesis ?
Une rage qui fait résonner la xénophobie de cette humanité décadente avec ses plus glorieux instants historiques : la Seconde Guerre Mondiale, le massacre des indiens, les persécutions des sorcières dans l’Angleterre du XVIIème siècle, l’inquisition espagnole… La liste est longue et vertigineuse, tout comme son intégration dans un vaste space opera baroque et bordélique. Cocréateur du bouzin, l’illustrateur Kevin O’Neill (La Ligue des Gentlemen extraordinaires), se met peu à peu en retrait dans ce second pavé, mais livre encore et toujours les planches les plus mémorables, en noir et blanc et en couleurs (!), maniant les angles les plus tranchants et les perspectives les plus alambiquées pour donner corps à un univers futuriste assez unique. Entre quelques chapitres improbables en roman-photo, ce sont donc les artistes Bryan Talbot (Grandville) et John Hicklenton (ZombieWorld) qui reprennent la main, donnant à la série des accents faussement plus identifiables, vrillant plus volontiers vers les esthétiques EC Comics. Des changements visuels qui s’accompagnent du côté du scénariste Pat Mills (Slaine, Requiem…), de parenthèses de plus en plus nombreuses, entre une mini-saga profondément amorale du terrible Torquemada en personne, des spin-off flash-back et des petits épisodes spéciaux… Sans compter cela va de soit sur les habituelles et renversantes ruptures de ton et les artifices dignes de l’auto-parodie dont les ABC Warriors, et même Dredd, font largement les frais.
Forcément, on s’y perd parfois dans ce tableau sans queue ni tête, dans cette farce grotesque au fond tragique, mais c’est pour la bonne cause.