NAUFRAGEURS
France – 2023
Genre : Aventure
Dessinateur : Laurent Gnoni
Scénariste : Rodolphe
Nombre de pages : 72 pages
Éditeur : Daniel Maghen
Date de sortie : 17 mai 2023
LE PITCH
Greenway, Angleterre, 14 octobre 1704. Les habitants scrutent la mer, un navire a été aperçu, luttant contre la tempête. Jim atteint l’âge d’être initié contre son gré aux activités nocturnes des adultes de son village : pour améliorer leur quotidien misérable, ils allument des feux qui amènent les navires à se fracasser sur la falaise accidentée. Le Meredith les a vus, et il approche. Pour Greenway, c’est le navire de trop ! À son bord, un mystérieux passager, attendu par un Lord et porteur d’un fabuleux trésor.
« il était un petit navire… »
Alors que sa saga Ter puis Terre s’achève ces jours ci chez l’éditeur Daniel Maghen, le productif Rodolphe (Kenya, Centaurus, L’Or du temps…) propose dans le même temps un nouveau one-shot : Naufrageurs. Une évocation romanesque d’un mythe maritime particulièrement vivace au cours du 18ème siècle.
Comme leur nom l’indique, les naufrageurs étaientt pires que les pilleurs d’épaves puisque plutôt que de se contenter de se jeter sur les navires échoué pour y récolter des restes de cargaisons (nourritures, tissus, monnaies…) comme l’autorisait d’ailleurs la plupart des lois en vigueur en Europe, ces derniers utilisaient quelques stratagèmes pour provoquer justement ces échouages. Des lumières stratégiquement disposés sur la côte pour faire croire à l’arrivée au port par exemple comme c’est le cas dans l’album en présence. Une rumeur bien ancrée seulement puisqu’aucun document historique n’a pu attester de faits avérés, mais qui en tout cas à souvent nourri l’inspiration, comme ce fut le cas pour L’Auberge de la Jamaïque de Daphné du Maurier (et la superbe adaptation signée Hitchcock) ou même pour la légende qui habite l’excellent The Fog de John Carpenter. Mais Rodolphe s’en empare frontalement et fait de ce village, Greenway, le personnage principal du récit, habité par cette pratique récurrente et parfaitement organisé qui permet aux habitants de s’enrichir au-delà de leur condition. Une pratique criminelle et particulièrement meurtrière lorsqu’il s’agit d’achever les survivants, que découvre le jeune Jim, jeune adolescent qui ne gouttera que bien peu à cette initiation barbare. Il en restera à distance, tout comme la jolie Jenny, fille du squire, et deviendra dès lors le témoin de la chute d’une ville qui a eu la mauvaise idée de s’en prendre au mauvais bateau. Les soldats du roi vont enquêter tout d’abord, suspectant quelques habitants, puis ce seront d’authentiques pirates en quête d’un trésor dérobé, reconnaissant une bague sur le doigt d’une pauvre fille qu’ils abandonneront violée et assassinée.
Sur les quais
L’étau se referme et l’atmosphère se fait de plus en plus tendu dans les rues, fuyantes, craintives… Se sont ces ingrédients là qui s’avèrent les plus intéressants à la lecture et que l’on aurait clairement aimé voir plus approfondis. La trame multiplie les à-côtés (toute l’attaque pirate en flashback spectaculaire mais un peu inutile), là où elle aurait gagné à se concentrer justement sur les différents habitants dont à l’arrivée peu malheureusement sortent vraiment du lot. Un point de départ passionnant qui aurait clairement mérité un ou deux albums supplémentaires pour assoir sa menace tentaculaire et observer les uns se retourner contre les autres, comme une forme de punition du destin. Reste heureusement ce sentiment d’aventure, de retrouvailles avec une forme de récit à l’ancienne, où les terribles évènements servent de moteur initiatique à un jeune héros encore innocent. Une atmosphère que capture avec élégance et une certaine majesté l’illustrateur Laurent Gnoni (Prométhée, L’Ombre du cinéphage, La Vénitienne…) à la ligne tout en finesse mais capable aussi bien de capturer la naïveté de certains tableaux (essentiellement autour de Jim et ses amis animaliers) que d’imposer des visions maritimes tempétueuses. Sa reconstruction historique est minutieuse mais jamais encombrante laissant les couleurs légèrement passées, car rappelant la nature presque orale du récit, imprégner des planches admirablement construites. Un bel album mais qui aurait pu aller beaucoup plus loin dans sa construction dramatique.