MULTIVERSITY PRÉSENTE TERRE-37
Batman : Thrillkiller #1-3, Thrillkiller’62 #1 + Twilight #1-3 + Ironwolf Fires of Revolution – Etats-Unis – 1990, 1993, 1997
Genre : Super-héros, Space Opera
Scénariste : Howard Chaykin
Illustrateurs : Dan Brereton, Mike Mignola, José Luis García-López
Editeur : Urban Comics
Pages : 384 pages
Date de Sortie : 12 novembre 2021
LE PITCH
Du crépuscule des années 1960 à l’aube du 61e siècle en passant par un troisième, puis une quatrième, guerre mondiale, l’Histoire de cette Terre parallèle du Multivers DC a été teintée par la chute des empires successifs, la corruption du pouvoir et les ravages du progrès scientifique sur le monde. Cyniques et fatalistes, les aventuriers de ce monde sont les témoins privilégiés de révolutions qui accoucheront de nouveaux règnes tout aussi corrompus que les précédents… Bienvenue sur la Terre-37.
Chaikynverse
Après la publication de l’incontournable American Flagg !, Urban Comics poursuit sa réhabilitation de l’œuvre d’Howard Chaykin en regroupant sous l’appellation Multiversity présente Terre-37, trois de ses plus gros succès des années 90. Un peu de Batman, des empires galactiques près à s’effondrer, beaucoup de folie et des artistes invités de très haut niveaux.
Le Monde DC est fragmenté et composé de différentes terres parallèles où les destins de l’humanité et de ses plus grands héros n’est pas forcément celui que l’on connait aujourd’hui. Lors de sa grande opération de réappropriation des Terres multiples pour le crossover hyperbolique Multiversity, Grant Morrison avait réorganisé toutes les chronologies, les variantes et les différentes acquisitions d’autres éditeurs sous une nouvelle numérotation de terres parallèles. Parmi celles-ci, il y avait le cas particulier de la Terre-37, seule itération entièrement basée sur le travail d’un seul homme : Howard Chaykin. Une déclaration d’amour de Morrison à l’œuvre souvent noire, inventive et toujours incorrecte du créateur d’American Flagg ! ou de Black Kiss.
Justiciers
Même au sein de la maison DC celui-ci ne s’est finalement que très rarement fondu dans le moule, préférant livrer des propositions étonnantes et rentre-dedans, hors justement des jalons de la chronologie officielle. Trois titres essentiellement, Batman Thrillkiller, Twilight et Ironwolf qui composent un monde sombre et brutal dans lequel une explosion technologique apparue dans les années 60 a rapidement menée l’humanité vers les étoiles, et vers de vastes conquêtes spatiales. Du swinging Gotham au Space Opera baroque, le volume explore ainsi une vision on ne peut plus personnelle de certaines grandes figures DC à commencer par Batman et ses camarades Batgirl et Robin. Ainsi dans Thrillkiller, la crise de 29 a obligé Bruce Wayne à revendre tous les titres familiaux et à s’engager dans la police de la ville. Cela n’empêche pas deux justiciers d’apparaitre dans ces rues et de combattre les gangsters qui la gangrène, la police corrompue, mais aussi de soutenir la jeunesse libertaire. Construit comme un roman noir en lycra, parsemé de multiples références aux strip pulp comme Dick Tracy, la mini-série brillamment peinte par Dan Bereton (Lady Justice, Giantkiller) évoque ouvertement les remous de la société américaine au cours des 60’s, et séduit autant pour sa réappropriation de la famille Batman (la Joker femme fatale est une belle trouvaille) que pour sa teneur profondément politique.
Explorateurs
Enorme saut dans le futur pour les deux autres titres qui composent l’album, les trois chapitres de Twilight et le one shot Ironwolf, qui réinventent là aussi à leur façon quelques personnages méconnus des 50’s. Des anciens héros de science-fiction comme Star Rover, Star Hawkins ou Manhunter 2070 qui deviennent les acteurs d’un space opera baroque, crépusculaire et totalement décadent. Ancienne figure flamboyante et explorateur courageux, Tommy Tomorrow y devient même un beau salopard, raciste et assassin, qui prendra le pouvoir total sur l’empire en se transformant en dieux immortel. Très proche de la tonalité chaotique et frontale d’American Flagg ! Twilight compose un chant épique, mais aussi un chant du cygne, d’une humanité constamment vouée à détruire tout sur son passage dans sa propre quête d’immortalité. Un tableau là encore admirablement composé par le génial dessinateur José Luis García-López (Atari Force, Cinder & Ashe, Jonah Hex…) se tournant ouvertement vers les influences européennes de Métal Hurlant et Moebius. Et encore une fois, question collègue illustrateur, Ironwolf frappe fort avec un Mike Mignola prè-Hellboy mais déjà on ne peut plus talentueux. Se déroulant dans le même univers (avec un personnage secondaire en commun) que Twilight, mais à quelques bonnes années lumières, ce troisième comic verse plutôt dans l’aventure steampunk avec vaisseaux en bois et guerre civile spatiale sur fond de révolution et de dictature aristocratique. Monstres gothiques, vampires et nobles pirates composent une aventure débridée mais où comme toujours, Howard Chaykin ne peut s’empêcher de décrypter l’ordre du monde.
Un recueil qui a certes quelques cotés un peu décousus (clairement la partie Batman aurait pu être proposée séparément et les trois premiers fascicules d’Ironwolf publiés dans Weird Worlds réintégrés), mais qui témoigne une fois encore de la richesse et de l’importance des créations d’Howard Chaykin, et ce même lorsqu’il se contente de la place de scénariste.