MOBY DICK

Moby Dick adapted by Bill Sienkiewicz – Etats-Unis – 1990
Genre : Aventure, Drame
Scénariste : Bill Sienkiewicz, Dan Chichester
Illustrateur : Bill Sienkiewicz
Nombre de pages : 48
Editeur :Delcourt
Date de Sortie : 13 janvier 2021
LE PITCH
Attiré par la mer, Ismaël, le narrateur, décide de partir à la chasse à la baleine. Il embarque sur Le Pequod, commandé par le Capitaine Achab, obsédé par un cachalot blanc particulièrement féroce surnommé Moby Dick qui lui a arraché la jambe. À travers le voyage « sans retour » de son personnage principal, Melville aborde des thèmes universels, le concept de classe et de statut social.
Sombre héros de l’amer
Consacré comme grand classique de la littérature mondiale, multi-adapté sur tous les supports, Moby Dick est l’un des sommets des romans d’aventure. C’est aussi un véritable cauchemar, quête bestiale d’une mort blanche laiteuse, comme nous le rappelle avec flamboyance Bill Sienkiewicz.
Visage atypique de la BD américaine, Bill Sienkiewicz a pourtant éclot au sein de la très mainstream Marvel en faisant glisser les univers de super-héros vers les rêves éveillés, vers un certain niveau de folie. Qui a lu ses épisodes de Moon Knigth, vu ses planches des Nouveaux mutants et dégusté Elektra Assassin ne peut qu’en garder un souvenir frappant, voir traumatisant. Trop en marge, il est d’ailleurs souvent relégué comme dessinateur invité ou cover-artist chez les deux grands éditeurs, mais il s’est efforcé très logiquement d’explorer d’autres univers tout au long de sa carrière. Le bizarroïde Stray Toaster, la biographie on ne peut plus free-jazz de Jimi Hendrix, Voodo Child, et cette célèbre adaptation de l’œuvre d’Herman Melville, parue pour la première fois aux États-Unis en 1990. A priori pourtant son approche graphique, mélange frénétique de matières, de collages et de formes bousculées ne se prête pas forcément aux paysages écrasants d’un océan déchaîné, à l’épique d’un capitaine et son équipage confrontés à un mythique monstre marin comme la si bien scénographié John Huston.
Face à la bête
Mais le concept de l’homme face à la nature n’est pas forcément ce qui inspire le plus Sienkiewicz qui d’ailleurs se détourne assez rapidement des oripeaux du récit homérique, pour plonger directement dans les coulisses du récit et les ténèbres qui l’entourent. La force de son sens du détail qui semble sauter à l’œil du lecteur comme un gros plan zoomé, insiste alors sur un croisement avec le surréalisme presque sordide de la vie des marins, et une contamination profonde et inquiétante de la folie d’Achab. Les extraits préservés du roman ne s’attardent ainsi que très peu sur les anecdotes historiques et forment un enchevêtrement de croyances, de déviances et de pertes de raisons des personnages, gradués par les diverses rencontres avec les navires concurrents, tous fuyant la bête immortelle. Ce n’est pas Achab qui est fou envers et contre tous dans cet album, mais tous les baleiniers à sa solde, puis le navire, la mer et le monde. Les contours constamment déformés des personnages, leurs visages marqués aux lisières de la caricatures, les teintes poisseuses, les cadavres décapités des cétacés exterminés, forment une BD qui n’insuffle aucune envie d’odyssée, mais décortique un cauchemar maritime, une confrontation à la fois biblique et profondément païenne (on n’est jamais très loin de la sorcellerie) d’une humanité face à sa condition, physique et mentale, fragile, aux ténèbres primordiales. Une adaptation très personnelle forcément, mais définitivement puissante.