MILES DAVIS ET LA QUÊTE DU SON

Miles Davis – Etats-Unis – 2023
Genre : Biographie, Musique
Dessinateur : Dave Chisholm
Scénariste : Dave Chisholm
Nombre de pages : 160 pages
Éditeur : Glénat
Date de sortie : 30 avril 2024
LE PITCH
Victime d’un infarctus en 1982, Miles Davis perd l’usage de sa main droite. Le trompettiste ne peut plus jouer. Mais alors que le silence se fait, une nouvelle ère s’ouvre : en remplaçant la musique par la peinture, l’artiste remplira des centaines de cahiers de croquis en jetant un regard sur sa vie passée…
Kind of Blue
Figure incontournable de la scène jazz, gigantesque compositeur, trompettiste magique et artiste jusqu’au-boutiste, Miles Davis aura traversé, ou survécu selon le point de vue, à plus de cinquante ans de carrière et de bouleversements musicaux. Une trajectoire et un œuvre solidement célébrée par ce nouvel album construit et dessiné par Dave Chisholm.
Certainement l’homme de la situation puisqu’il est un grand amateur de jazz, trompettiste doué de surcroit, et qu’il avait déjà démontré de la pertinence de son approche dans un précédent Chasin’ The Bird consacré à Charlie Parker. Si dans ce premier album, le récit était construit en creux, façonné par les témoignages de proches ou de collègues musiciens, Miles Davis et la quête du son a pu largement s’appuyer sur de nombreuses interviews données par l’artiste et sur son autobiographie. Ce sont donc bien là les mots même de Miles Davis, réorganisés, recoupés naturellement, mais qui gardent nettement cette valeur de voix intérieure permettant une longue et parfois douloureuse introspection. La lucidité et l’honnêteté de Davis est souvent surprenante, capable de reconnaitre ses meilleures performances, ses plus grands morceaux, ses enregistrements les plus pointus, tout autant que ses énormes faiblesses humaines, sa dureté avec ses compagnes, un certain égoïsme et des fragilités considérables face aux drogues. Sans pathos ni apitoiement, ce drame d’une vie, jalonnée de victimes oubliées et perdues sur le chemin, est finalement le prix à payer pour une carrière à l’exigence hors du commun.
Miles ahead
Mais si l’album est le récit, parfois très intime d’un homme dans toutes ses ambiguïté, c’est aussi et avant tout celui d’un créateur, adorateur de la musique sous toutes ses formes, multipliant les collaborations, croisant tous les plus grands créateurs de son époque (de John Coltraine à Prince en passant par Jimi Hendrix), se nourrissant de toutes les cultures, et faisant constamment évoluer sa musique. Du jazz cool qu’il a quasiment créé (il en détestait pourtant le terme) jusqu’à des albums aussi expérimentaux que On the corner, le travail de Dave Chisholm est ainsi de rendre concret, compréhensible et accessible ces constantes réinventions, tentatives et réussites qui n’existent normalement que par le son. Le scénario en lui-même peut avoir quelques dehors académiques avec sa construction chronologique en chapitre et bien entendu quelques cases de name dropping, mais sa mise en image se montre nettement plus inventive, libre et surprenante. Mile Davis lui-même après un infarctus subit en 1982 s’était mis au dessin puis à la peinture pour retrouver l’usage complet de sa main droite… L’illustrateur lui emboite ici le pas, mêlant des séquences presque réalistes, mais toujours atmosphériques et baignées dans une identité blues, avec des évasions beaucoup plus psychédéliques où les sons prennent littéralement formes, s’échappent ou ré-imaginent la structure du gaufrier et du découpage.
Un très bel hommage, à la fois biographie appliquée et sérieuse, et tentative assez fructueuse de faire littéralement entrer le lecteur dans l’esprit créatif de son sujet, qui donne immanquablement envie de ressortir la vieille collection de vinyles, et de se laisser emporter par cette rythmique unique et ce groove immortel. Ça tombe bien, pour les modernistes, l’auteur et l’éditeur proposent en fin d’album un QR Code qui permet d’accéder directement à la playlist de la BD.