MARIE ET LES ESPRITS
France – 2023
Genre : Fantastique
Dessinateur : Olivier Roman
Scénariste : Rodolphe
Nombre de pages : 56 pages
Éditeur : Anspach
Date de sortie : 06 octobre 2023
LE PITCH
Début du 20e siècle. Pierre et Marie Curie étudient le spiritisme, ces phénomènes inexpliqués qui méritent eux aussi d’être observés avec un esprit scientifique. En compagnie d’autres brillants intellectuels, dont Charles Richet (prix Nobel de physiologie ou médecine, 1913) et Henri Bergson (prix Nobel de littérature, 1927), ils organisent des séances avec la médium italienne Eusapia Palladino dans un hôtel particulier à Paris. Confrontée à la mort tragique de Pierre, les certitudes de Marie vont-elles vaciller lors d’une dernière séance autour des vêtements ensanglantés du défunt ?
Ectoplasme
Figure tutélaire du monde scientifique, symbole féministe et détentrice de deux prix Nobel, Marie Curie est à nouveau le sujet central d’une bande dessinée. Mais cette fois-ci Rodolphe et Olivier Roman dévient de la simple biographie pour s’intéresser à l’autre passion de madame radium : le spiritisme.
Ce n’est pourtant pas là une fantaisie de la part des deux auteurs, que l’on retrouve d’ailleurs réunis presque un an après le très joli Sprague, mais bien un détail historique souvent passé sous silence, éclipsé, dans les portrait plus académiques et acceptables. Accompagné d’autres collègues scientifiques et intellectuels comme le philosophe Henri Bergson, le couple Curie se passionna donc aussi pour le monde de l’éthérée, très à la mode finalement en ce début du 20ème siècle, qu’ils abordèrent non pas avec mysticisme, mais avec une curiosité toute scientifique. Leurs nombreuses expériences ont été dument notées et archivées et les nombreuses séances de spiritisme dont ils furent témoins, puis organisateurs, préparées, surveillées et enregistrées avec une rigueur toute mathématique. Pas question alors dans Marie et les esprits de s’embarquer dans un grand délire fantastique ou de se rapprocher de l’épouvante littéraire, Rodolphe préférant opter ici pour une narration distanciée, journalistique, racontée par le personnage fictif de l’anglais Paul McNee, membre de la Society for Psychical Research (bien réelle pour le coup), témoin de la plupart des mêmes phénomènes que les Curie.
Démonstrations
L’essentiel du récit tient donc dans ce rapprochement constant que font les protagonistes entre leur découverte, alors presque « magique », des facultés du radium, et ces évocations de tables et autres objets qui se mettent à léviter ou d’étranges formes impalpables qui s’échappent du corps des femmes en contact avec « l’au-delà ». Impossible de savoir aujourd’hui ce qui était la part d’ésotérisme, de mystification, de sensationnalisme et même de véracité scientifique dans tout cela et Rodolphe se garde bien d’y apposer un point de vue trop appuyé donnant à l’album des airs de document sur une « période » de la vie de Marie Curie. Sans explications ou perspectives au-delà de la cinquantaine de page. Intéressant, mais un peu frustrant sans doute, surtout que les personnages en eux-mêmes manquent alors d’un peu de profondeur, d’épaisseur et de tangibilité pour que l’on s’y attache vraiment, la seule scène « romantique » réunissant les deux époux tombant au passage un peu à plat. De la même manière l’illustrateur presque traditionnel Olivier Roman, ne profite pas ici de couleurs directes, et son style y perd certainement un peu. On ne peut cependant que louer là encore le réalisme apporté à l’entreprise par la fine reconstitution historique proposée, que ce soit dans les décors, les costumes ou les ressemblances avec les figures historiques, et la pertinence de certaines compositions qui reprennent justement dans leur dispositif les gravures ou les unes de journaux de l’époque (la première grande séance ou la mort de Pierre Curie) captant ainsi très efficacement le pouls de son temps.
Un album à l’approche historique tout à fait valable mais qui s’impose ses propres limites narratives, celle du récit historique froid, s’interdisant toute incursion de l’imaginaire ou d’effets, et qui dès lors laisse une impression un peu tiède, entre deux eaux.