LOVE EVERLASTING T.1
Love Everlasting #1-5 – États-Unis – 2022
Genre : Fantastique
Dessinateur : Elsa Charretier
Scénariste : Tom King
Nombre de pages : 136 pages
Éditeur : Urban Comics
Date de sortie : 27 octobre 2023
LE PITCH
La vie paraît simple de prime abord. Rencontrer quelqu’un, tomber amoureux, se marier, et vivre heureux jusqu’à ce que la mort nous sépare. Mais pas pour Joan Peterson. Chaque fois qu’une idylle naît, elle est arrachée à son monde et projetée dans une autre vie, avec d’autres problèmes, d’autres tourments. Piégée dans un cycle de romances perpétuelles, repartant toujours de zéro, avec des hommes différents, elle va tenter de se frayer un chemin jusqu’à – s’il existe – trouver « l’amour éternel ».
Prisonnière de l’amuuur
Octobre 2023 chez Urban Comics, c’était le mois Tom King. Entre deux récits Batmaniens et un revival d’un classique de DC comics (The Human Target), l’éditeur français propose aussi le plus étonnant Love Everlasting. Une gigantesque histoire d’amour, naïve, fraiche et pleine de grands sentiments, mais… oui, y a un sacré Mais.
Projet née sur la plateforme indépendante Substack, Love Everlasting y fut d’abord distribué gratuitement avant qu’Image Comics n’en obtienne les droits pour la version physique. Une œuvre imaginée et produite de prime abord en dehors des sentiers habituels et dont l’origine assure à ses créateurs une totale liberté créative. On imagine en effet assez difficilement un éditeur en accepter aisément le concept de base, surtout que Love Everlasting prend véritablement son temps pour installer les éléments les plus dissonants de son histoire. Ou plutôt de ses histoires puisque cette série enchaine de nombreux épisodes, parfois déjà presque finis, d’autres qui resteront en suspens, la plupart menée jusqu’au bout tout de même, dont la même Joan Peterson est toujours l’héroïne. Une figure de l’amoureuse éperdue, une belle demoiselle brune, plus ou moins jeune, mais toujours dans l’âge des grandes effusions, qui rencontre à chaque fois l’amour de sa vie et espère pouvoir l’épouser malgré les obstacles qui s’imposent à eux. Un deuxième bellâtre qui pointe le bout de son nez, une concurrente meilleure amie qui fait naitre un sentiment de culpabilité, des parents qui refusent cette jeune fille issue d’un milieu non aristocratique (ou l’inverse), ou les désirs de s’affirmer comme une femme active et indépendante… Tous les codes du roman à l’eau de rose et surtout de ces anciens Romances Comics qui fleurissaient durant les décennies 40-50-60 où l’on célébrait les sentiments les plus purs, l’hétéro-normalité, la force de la famille à reconstruire et donc toutes les valeurs les plus traditionnelles du mariage.
What is love ? (Baby don’t hurt me)
Le rêve absolu de toutes ces belles rêveuses, chanteuses durant la Première Guerre Mondiale, soubrettes d’un château cossu, filles de propriétaires d’un ranch ou grandes fans du naissant rock’n’roll… Mais pas tout à fait de Joan qui met systématiquement le holà à la dernière étape de l’engagement quitte à faire apparaitre un cowboy masqué qui lui place une balle dans la tête… Avant qu’elle ne se réveille ailleurs, amoureuse à nouveau. Mais jusqu’à quand ? Une histoire d’amour sans fin, un éternel recommencement, une redécouverte constante des effluves de la passion aux milieux desquels l’héroïne est de plus en plus consciente de sa position de personnage prisonnier de récits tous calés sur un modèle rigoureux, répétitif, tour à tour frustrée, rebelle, blasée mais toujours doté d’un sens du décalage, d’un humour noir et d’une franchise qui ne peut que lui attirer des ennuis. Pourquoi en est-elle là ? Qui ? Quand ? Comment ? Le scénariste Tom King ne donne pour l’instant que de petites bribes de réponses, préférant justement jouer avec cette succession de parodies d’un genre aujourd’hui bien vieillot, avec le lyrisme des voix off et le ridicule des déclamations d’adolescents. Autant d’ailleurs pour rendre hommage avec tendresse à des comics d’autrefois que pour analyser avec justesse le fréquent piège de ces schémas amoureux dans lesquels les gens s’enferment si souvent. Intriguant pour le moins, malin certainement, et écrit avec beaucoup de finesses, de subtilités et même parfois une grande émotion dans le mélodrame (tout l’épisode sur la première guerre mondiale se suffit presque à lui-même), Love Everlasting est une bonne surprise, prémisses prometteurs dont on se demande vraiment dans quelle voie la suite va s’embarquer.
Ce qui est sûre c’est que la présence d’Elsa Charretier (The Infinite Loop) aux dessins est absolument indispensable, capturant à merveille, avec son trait épurée à la Paul Dini, tout l’aspect suranné, doux et féminin des romance comics tout en leur apportant une authentique modernité dans le découpage et la fougue contenue. Sa Joan, tour à tour étudiante passionnée, midinette, groupie, bibliothécaire mélancolique, Scarlett ravageuse et jeune femme moderne rageuse, affirme constamment un charme et une liberté assez irrésistibles.