LODGER
Lodger #1-5 – États-Unis – 2018 / 2019
Genre : Thriller
Dessinateur : David Lapham
Scénariste : David Lapham, Maria Lapham
Nombre de pages : 128 pages
Éditeur : Delcourt
Date de sortie : 13 septembre 2023
LE PITCH
Ricky Toledo avait quinze ans lorsqu’elle est tombée amoureuse d’un beau et ténébreux vagabond qui louait une chambre dans sa maison familiale. Puis le bellâtre a tué sa mère et fait en sorte que son père soit envoyé en prison pour ce meurtre. Trois ans plus tard, Ricky ne recule devant rien pour se venger. Et la jeune femme brisée est accompagnée de son fidèle compagnon – un Smith et Wesson 45 en or nommé Golddigger…
Catch me if you can
Spécialiste du polar glauque et âpre qui a largement assuré sa belle réputation avec la série des Stray Bullet, David Lapham revient chez Delcourt pour un One Shot qui aurait sans doute pu y figurer en bonne place, si la trame ne déviait pas autant vers une étrangeté quasi lynchienne.
David Lapham, ici comme souvent aidé de son épouse à l’écriture, aime plonger à bras le corps dans le quotidien triste, pauvre et désespéré de la fange oubliée de la population américaine. Ses récits sont des polars, des thrillers, fortement influencés par les romans de gare et les films noirs, mais sans vraiment l’élégance, la sophistication et les costumes trois pièces ou les robes luxueuses de femmes fatales. Petits délinquants, vrais truands, sociopathes, tueurs cruels et arnaqueurs pathétiques s’ébattent pour un résultat souvent tragique et mortel. La jeune Ricky Toledo vient d’ailleurs d’un coin paumé de l’Arizona où l’arrivée d’un charmant écrivain voyageur a totalement fait basculer sa vie dans le drame le plus noir, vers une obsession infernale. Car voilà des années qu’elle le traque à travers le pays, semant à l’aide de son revolver en or massif, ses propres victimes, souvent par maladresse ou bêtise, au long de sa route. Lodger est un récit qui s’accroche donc à ces deux personnages, mettant Ricky en avant, mais laissant « Dante » s’exprimer lui aussi par le biais de son blog qui décrit ses nouvelles rencontres (qui s’achèvent irrémédiablement par la mort de ses amants) mais aussi sa propre version de la tragédie qui habite l’héroïne, non sans une certaine dose d’ironie cruelle.
Les nuits sans mon ennemi
Une double narration parfois un peu pesante et inutilement verbeuse, mais qui accentue sans doute aussi l’aspect dérangé de Lodger. Car rien n’est jamais charmant, plaisant voir même héroïque dans Lodger, récit sombre au possible illustré avec l’habituelle patte rustre, pulp et violente de l’artiste. Son noir et blanc tranché n’est pas là pour épargner le lecteur, mais bien pour accentuer constamment le contraste entre l’innocence perdue de la demoiselle et le monde pourri jusqu’à l’os qu’elle habite. La ligne du récit est ainsi en apparence claire et droite, simple histoire de vengeance personnelle et jusqu’au-boutiste, mais où peu à peu émergent des incongruités poisseuses (la canicule, l’invasion d’insectes…) et des ingrédients dignes d’une BD d’horreur (les doubles, les changements de visages…) qui ajoutent encore à l’atmosphère grinçante et inquiétante de l’album. Lodger n’en est que plus trouble, et n’hésite même plus à se donner des airs de folle histoire d’amour, déviante et destructrice quelques parts entre Sailor & Lula et Lost Highway. L’ombre de Lynch plane autant dans la réappropriation des codes du roman noir que dans l’inquiétante étrangeté qui nait ici dans les quartiers pauvres, les maisons vétustes, les arrières-ruelles entre caravanes et bouges de bord d’autoroute. Curieux road trip donc, qui sent la mort et la perdition de bout en bout.