LOCKE & KEY MASTER EDITION T.3

Locke & Key: Clockworks ; Locke & Key: Alpha & Omega – États-Unis – 2012/2014
Genre : Fantastique
Dessinateur : Gabriel Rodriguez
Scénariste : Joe Hill
Nombre de pages : 352
Editeur : Hi Comics
Date de sortie : 13 novembre 2024
LE PITCH
Il a fallu deux générations et d’innombrables victimes, mais Lucas « Dodge » Caravaggio est parvenu à ses fins : il détient la clé qui lui ouvrira la Porte Noire. Sous l’apparence du jeune Bode, il s’apprête à libérer les démons qui se pressent derrière elle. Ceux qui lui ont si longtemps résisté, Tyler, Kinsey, Scot, Nina, Rufus et les autres, seront tous appelés à jouer leur rôle tragique dans le dernier affrontement de la haine et de l’humanité, dans les sinistres grottes de Lovecraft.
Le début & la fin
Troisième volume de la superbe Master Edition de la série désormais culte Locke & Key chez Hi Comics. Un recueil regroupant les deux derniers tomes de la série principale et avec eux c’est un peu une page de l’histoire des comics contemporains qui se tourne. Retour ému et enthousiaste sur la fin d’une série qui en aura marquée plus d’un.
Les quatre premiers tomes de Locke & Key auront été l’occasion, pour leurs auteurs, d’inventer un univers incroyable, aussi crédible par les personnages qui le peuplent que fantastique par les évènements qui s’y déroulent. Un univers foisonnant, riche de milles et une idées, rendu vivant par la grâce des talents conjugués du scénariste Joe Hill et du dessinateur Gabriel Rodriguez. Deux énergumènes surgis (presque) de nulle part, et dont on n’attendait pas une telle réussite, il faut bien le dire. Un romancier talentueux (Horns adapté par Alexandre Aja), fils du King lui-même, d’un côté. Un dessinateur talentueux (Secret Show, d’après Clive Barker), jusque-là connu pour ses transpositions de films (Beowulf ou le Land of the Dead de Romero), de l’autre. Deux esprits féconds qui auront donc trouvé dans le travail en duo la matière à créer du génie. Car oui, il y a du génie dans cette série aux personnages si proches, dont les aventures pleines de clefs magiques, d’entités lovecraftiennes et de drames intimes, auront pu, parfois, amener même les larmes aux yeux des plus aguerris des lecteurs. Malheureusement, comme toutes les bonnes choses ont une fin, voici qu’arrive celle des péripéties de la famille Locke. Mais auparavant, un petit détour par le passé s’impose…
La clef du temps
Alors que le fabuleux volume 4 (Les Clefs du royaume) se finissait sur un cliffhanger déchirant (Zack ayant pris possession du corps du jeune Bode), Joe Hill et Gabriel Rodriguez, avant le grand final, se décident donc à remonter le temps, afin de nous conter l’origine des fameuses clefs et de la malédiction qui plane sur la famille Locke. En possession d’une nouvelle clef (celle du Temps), Tyler et Kinsey voyagent donc dans le passé, et deviennent les témoins du commencement de toute l’histoire. Le premier chapitre de Rouages plonge directement le lecteur dans l’hiver de 1775, aux débuts de la Guerre d’indépendance des futurs États-Unis d’Amérique. Semblables sur bien des aspectes à leurs futurs descendants, les Locke d’alors (dont le jeune Benjamin, au caractère proche de celui de Tyler) se trouvent confrontés rapidement à une entité démoniaque, cachée derrière une porte en forme de symbole Omega, qui va prendre possession des pauvres hères bloqués ici par la guerre et les forcer à entamer le carnage. Le ton est sombre, les images sanglantes, et on comprend dès lors ce qui va pousser Benjamin Locke à créer la première clef, à partir d’un morceau de « métal chantant », en fait une excroissance du corps de la créature. Passé ce prologue anxiogène, l’intrigue se déplace en 1988, lors de l’adolescence de Rendell Locke, quand auront lieu les évènements tragiques qui aboutiront à la possession de Lucas. Ici, Joe Hill et Gabriel Rodriguez font des merveilles, montrant le déroulement inéluctable de la malédiction, insistant avec humanité sur la nonchalance et la joyeuseté de jeunes adultes amenés à perdre définitivement leur innocence. Pièce de théâtre fantasmagorique (La Tempête de Shakespeare, mise en scène avec l’ensemble des clefs connues), mises à mort traumatisantes, déchaînement de l’entité démoniaque, renoncement intime… C’est véritablement à un prologue foudroyant de toute la série que le lecteur assiste, de même que Tyler et Kinsey, à qui va désormais revenir le fardeau de mettre un terme aux agissements du démon.
La dernière porte
Fausse « pause » dans l’histoire des enfants Locke, ce cinquième volume se révèle finalement n’être que le prologue nécessaire à un chapitre final forcément définitif, aussi bien pour les personnages que pour le lecteur, qui aura appris durant six années à connaître, à aimer et à comprendre des personnages bien plus humains que de simples « héros » de fiction. Les évènements des tomes précédents ont amené leur lot de drames, de révélations et de magie. Tyler, Kinsey et leurs amis sont prêts à l’affrontement, sans se douter que le mal se cache en leur sein, sous les traits de leur petit frère Bode. Le démon possède toutes les clefs nécessaires à son noir dessein. Le carnage peut donc commencer. Et c’est sans temps mort qu’Hill et Rodriguez orchestrent la fin de leur conte. À la manière d’un classique film pour adolescent, ils vont utiliser ce véritable rite de passage qu’est le bal de fin d’année pour cristalliser tous les enjeux du récit, déchaîner les enfers et pousser les protagonistes dans leurs derniers retranchements. C’est tout le génie des deux auteurs que de ne jamais se laisser aller à la facilité, à orchestrer une pelletée de morts atroces, à offrir à un personnage secondaire la stature du vrai héros, à oser une brutalité réellement désarmante (le sort de la mère), et à pousser le pouvoir des différentes clefs dans leur limite les plus folles. Narrativement, le récit est exemplaire, à la fois triste (le destin de Scot, Jackie ou Jordan), émouvant (la clef de soins) et terrifiant (le jusqu’auboutisme de Dodge, caché dans un corps d’enfant), d’une justesse incroyable. Et visuellement, le spectacle est à couper le souffle. Comme galvanisé par le scénario de son compère, Rodriguez délivre des planches démentielles, saturant ses cases d’ombres monstrueuses, de décadrages gothiques en diable et de couleurs saturées, tout en donnant aux personnages des expressions d’un réalisme sans pareil. On s’en doute, et sans révéler le fin mot de l’histoire, le dénouement d’une telle histoire ne peut se faire sans heurt, mais aussi sans une certaine forme d’apaisement et de résolution. Sans fausse note aucune, les deux génies portent leur fabuleux récit jusqu’à son aboutissement le plus logique, sa fin osée ne faisant qu’achever les impliqués des lecteurs. Certains, dont l’auteur de ses lignes, ne s’en sont toujours pas remis.
On aura ri, on aura pleuré, on aura haï, on aura aimé, bref, on aura vécu aux côtés de Kinsey, Tyler, Bode, leur mère et tout ce petit monde de Lovecraft, Massachusetts. C’est la fin de l’histoire. Difficile de trouver les mots justes pour décrire ces adieux (temporaires). Alors faisons simple. Merci Joe Hill. Merci Gabriel Rodriguez. Et longue vie à la famille Locke !