A la différence des trois pavés précédents qui retraçaient tous les 36 épisodes de la série principale, ce quatrième ouvrage peut véritablement être perçu comme un bonus de taille, une réunion des différentes pages satellites et des spin-off plus ou moins longs, parfois très courts, dont la publication s’est étalée sur plus de dix ans. La première partie correspondant à l’ancienne album Ciel et terre avait déjà été chroniqué (voir le lien juste au-dessus), on peut se consacrer ici à la seconde, certainement beaucoup plus intrigante puisqu’elle réunit toutes les histoires consacrées à la petite famille de Chamberlin Morse Walton Locke qui habitait les murs du Manoir Keyhouse à cette orée d’un nouveau millénaire.  Une famille bien plus bourgeoise, confortablement installée et qui semble dans un premier temps jouir pleinement du potentiel démesuré des fameuses clefs. De quoi organiser un bal improvisé dans le jardin avec de multiples automates ; de quoi offrir une maison de poupées dont les connexions avec le réel ne peuvent que provoquer quelques catastrophes ; de quoi aussi embarquer l’un des petits garçons de l’autre coté de la Lune pour lui éviter les affres d’une maladie débilitante. C’est que sous les petites fantaisies, les deux auteurs disséminent peu à peu une odeur de mort et de drame qui va exploser avec la Première Guerre Mondiale.

A l’autre bout du monde

Un conflit auquel Jack veut absolument participer quitte à mentir à sa famille, voler les clefs les plus puissantes, devenir un héros dans les tranchées et amener le chaos à domicile. Car les clefs ne peuvent effectivement qu’amener les ténèbres et la tragédie avec elles. L’occasion pour Joe Hill et Gabriel Rodriguez d’imaginer dans la continuité un croisement avec une autre série culte : Sandman de Neil Gaiman. Par un partenariat officiel avec DC / Vertigo, Locke & Key rend ainsi hommage à l’une de ses principales inspirations. Elle n’hésite pas à quasiment jouer la carte de la prequelle tout en poursuivant de manière poétique le voyage de cette génération très particulière des Locke alors que Mary, l’une des filles devenues grande, ne craint pas de se confronter à Lucifer pour sauver l’âme de son frère. Outre l’admirable fidélité aux deux univers (tout en gardant une accessibilité à ceux qui bêtement n’ont jamais lu le splendide Sandman), ces deux ultimes chapitres offrent véritablement un final épique et onirique à ce pan de l’univers Locke & Key. Une vraie réussite d’autant plus impressionnante qu’on peut y apprécier à chaque planche l’art décuplé de Gabriel Rodriguez, toujours adepte des cadrages alambiqués et atmosphériques, des constructions de cases bousculées et dynamiques, mais avec des contours qui se font moins cartoony, moins « caricaturaux » qu’autrefois au profit d’un réalisme plus délicat et presque plus discret.

C’est le plus souvent superbe et intense, et si à priori les deux compères ont définitivement dit au-revoir à Locke & Key (un long World War Key fut annoncé en 2019 mais plus de nouvelles depuis), on s’imagine très bien les voir reprendre en main l’univers de Sandman pour un véritable retour aux sources. Pourquoi pas ?