LES TORTUES NINJA : SOUL’S WINTER
Teenage Mutant Ninja Turtles #31, 35, 36, Shell Shock and Turtle Soup #4 – États-Unis – 1990/1991
Genre : Fantastique
Scénariste : Michael Zulli, Stephen Murphy
Illustrateur : Michael Zulli
Éditeur : Vestron
Pages : 112 pages
Date de Sortie : 29 avril 2022
LE PITCH
Soul’s Winter suit le parcours de quatre étranges créatures lancées par leur mentor dans un combat qui l’oppose à son rival. Lorsque l’une d’elle est grièvement blessée par l’ennemi, sa némésis veut l’aider à éviter la mort… et réveille une mystérieuse entité.
Les réptiliens
Longtemps rares représentant d’un comic à succès farouchement indépendant, TMNT (Teenage Mutant Ninja Turtles donc) a accueilli dans ses pages quelques auteurs et créateurs atypiques venant donner leur vision des quatre ninjas verts. Et la proposition de Michael Zulli n’est pas loin d’être l’une des plus étonnantes.
Petit rappel pour ceux qui n’ont jamais poussé leur exploration de la licence Tortues Ninja plus loin que la célèbre série animée ou les différentes itérations cinéma : à l’origine le comic n’étaient pas franchement une production grand public. Imaginé sur un coin de table dans un garage ou d’autres auraient lancés Apple ou réunis un groupe de rock, la création d’Eastman et Laird se voulait une publication libre, déconnante, croisement de BD US et de manga et véritable hommage aux Daredevil et Ronin de Frank Miller. Les années passant, alors que le titre commençait à devenir synonyme de figurines articulées et autres pizzas à l’ananas, les auteurs continuaient tout de même de cultiver une branche plus proche de l’idée originale et s’amusaient régulièrement à confier les rênes de leur univers à des créateurs extérieurs. Certains se souviennent peut-être d’une prestation remarquée de Richard Corben, mais celle qui trancha le plus fut certainement celle de Michael Zulli (The Puma Blues, The Sandman, The Last Tempation). Très loin des rondeurs de Peter Laird et surtout de l’anthropomorphisme presque cartoon des personnages, ce dernier approche les héros avec un réalisme étonnant.
à sang froid
Si le rat Splinter reste plutôt fidèle à lui-même, mais renforcé par des détails plus présents, les tortues affichent une posture, des becs et même un certain anonymat qui surprend. L’animalité flagrante des créatures est d’ailleurs au centre de ces trois épisodes qui constituent Soul’s Winter, confrontation presque philosophique entre l’humain Shreider et ses ennemis monstrueux. Croisant dans ses dialogues, qui ressemblent surtout à des poèmes en proses, évocations mystiques orientalistes et atmosphères gothiques à la Edgar Alan Poe, Zulli donne une profondeur inédite, poétique et baroque à ces tortues plus samouraïs que ninjas, où la notion d’honneur se mêle à une survie aux airs de reconquête identitaire. Étrange, parfois abscond, chaotique dans sa narration et ses dérives, Soul’s Winter impose quoi qu’il arrive un découpage et une grammaire visuelle parfaitement maitrisée, dont l’efficacité pourrait même se passer des artifices du texte. Une approche d’ailleurs largement confirmée par les trois plus courtes nouvelles qui accompagnent le recueil : une séance de méditation de Splinter, une altercation des plus épurées sur les toits de la ville ou un cauchemar de Michelangelo en forme d’allégorie écologiste, résonnent surtout comme des exercices de style. Assez unique donc, la prestation de Zulli est cependant ici livrée dans la seule version encore disponible : celle recolorisée en 2014 par IDW. Un travail plutôt propre et sobre mais au rendu numérique qui tranche avec le trait épais, lourdement encrée et martelé de traits noirs d’un artiste qui avait pensé ses pages pour une publication en noir et blanc.