Où commence l’histoire ou fini la légende (et vice-versa) ? Une question que ne se posent pas vraiment les deux auteurs de Les Ombres de Thulé puisqu’ils prennent effectivement un malin plaisir à constamment mêler les deux. L’aventure prend ainsi racines sur les terres écossaises alors menacées par l’avance des armées romaines pendant que les deux peuples principaux, les pictes et les gaéliques s’étripent pour le peu qu’il reste. Nous sommes au nord du mur d’Antonin, mais nous sommes aussi sur une terre de magie qu’aurait arpenté il y a des siècles et des siècles une race de géants ayant laissé un sceau à protéger pour empêcher les forces du mal de nous envahir. Tout bascule lorsque la sorcière immortelle Ithomée, met en branle une terrible vengeance vouée à ravager l’empire romain mais aussi le monde dans la foulée. Une trame construite comme un vaste feuilleton populaire où les fils cachés, les traitres, les hommes brisés et les héros qui s’ignorent pullulent dans un paysage de dark fantasy qui rend l’existence précaire plus dangereuse et éphémère encore. Patrick Mallet, créateur de la série Achab, et Lionel Marty (Inca, Le Rêve de Jérusalem…) assouvissent ici clairement un pur fantasme en faisant renaitre les rives ensorcelés et inquiétantes de la littérature pulp des années 20 tout autant que leurs extensions plus récentes, souvent en BD ou comics.

Les destructeurs

Si les références à Robert E. Howard (en particulier son Conan) et H.P. Lovecraft (la démonologie exploitée lui ressemble beaucoup) sont évidentes, les échos à Michael Moorcock, Fritz Leiber, Tolkien ou à la légende de Beowulf restent très prégnants et se mêlent dans une aventure guerrière qui réussit à créer sa propre mythologie héroïque et se voit doublé d’une énergie romanesque emballante. Entre le dernier roi des Pictes prêt à l’ultime sacrifice, Fergan fils d’un centurion arraché au ventre de sa mère, Calum le jeune survivant du massacre de son village, Horatius le romain repenti et Brydia l’archère devenue magicienne, la troupe compile quelques stéréotypes du jeu de rôle ou de la fantasy littéraire, mais réussit à faire vibrer les personnages au gré des révélations, des alliances et des dangers jusqu’à un final aussi grandiose que fataliste. Là où Patrick Mallet réussit vraiment son coup, c’est en concentrant sa narration sur une succession ininterrompus d’épisodes resserrés, constamment au cœur de l’action, tout en dessinant un large tableau, plus vaste où l’on peut reconnaitre dans cette alliance inespérée face à une menace planétaire et contre-nature, une ébauche de réflexions beaucoup plus contemporaines. Une lecture spectaculaire et puissante, impeccablement accompagnée par les planches musclées, fougueuses, et parfois particulièrement violentes, signé par Lionel Marty débridé que l’on imaginerait maintenant forcément prendre en mains l’une des adaptations de Conan chez Glénat.

Dans tous les cas Les Ombres de Thulé est une lecture sacrément épique et certainement un nouveau cap franchit pour ses deux créateurs.