LES NAVIGATEURS
France – 2024
Genre : Fantastique
Dessinateur : Stéphane De Caneva
Scénariste : Serge Lehman
Nombre de pages : 208 pages
Éditeur : Delcourt
Date de sortie : 2 octobre 2024
LE PITCH
Expatriée depuis 20 ans, Neige Agopian décide de rentrer à Paris et de renouer avec ses amis d’enfance, Max, Arthur et Sébastien. Mais après quelques jours, elle disparaît dans des conditions étranges. Les garçons mènent l’enquête et se confrontent à un triple mystère : une légende urbaine, une énigme artistique, et un fabuleux monde perdu sur lequel veillent, depuis toujours, les « Navigateurs ».
Ville lumière… et d’ombres
Les auteurs de Metropolis et La Brigade Chimérique Ultime Renaissance, nous embarque dans une visite unique des grands secrets de la capitale Parisienne. Sous les pavés, la plage, mais aussi des secrets bien gardés, des légendes oubliées, des océans primordiaux et des créatures terrifiantes. Un thriller fantastique original et captivant.
De La Brigade chimérique à L’homme gribouillé en passant par Masqué ou Metropolis, Serge Lehman aime à réinvestir une imagination et une culture fantastique européenne, et souvent très française voire parisienne. Plonger dans les passés littéraires, dans les proto super-héros, dans l’histoire de l’art ou de l’architecture en recherche d’une mythologie populaire qui aurait pu exister et fleurir. C’est une nouvelle fois cette démarche, souvent passionnante, qui habite Les Navigateurs, superbe album de plus de 200 pages aux papiers épais, à la couverture intrigante, gaufrée et relevée de teintes cuivrées, qui va peu à peu entrainer le lecteur vers un monde primitif et mystique dissimulé sous les reliefs parisien. Pourtant, tout commence comme une simple histoire de potes, trois anciens camarades de lycée inséparables qui n’ont jamais brisé le lien, et la très jolie Neige qui revient après un long exil volontaire en Angleterre. Des retrouvailles, très attendues pour Max qui n’a jamais vraiment oublié leur passade et leur ultime étreinte avant leur départ. Mais un soir, après qu’un étrange bruit ait retenti dans tout le voisinage et que Max ait apparu une étrange forme à la fenêtre de son amie, la femme disparait ne laissant d’elle comme trace qu’une étrange fresque sur le mur de sa maison où elle est dessinée nue, emportée par une araignée géante. Le début d’une enquête pour les trois compères qui vont les amener à un peintre oublié, Ferdinand Krebs, élève du véritable Odilon Redon (dont les gravures sont réincarnées ici), à des rencontres bien étranges dans certains quartiers de Paris et à découvrir la véritable mission de la brigade fluviale.
Le très vieux Paris
Mélangeant constamment les références réelles (courants artistiques symbolistes, lettre de Jean Cocteau, cartes datant de la préhistoire…) avec des figures inventées, le réel avec l’irréel, Lehman oscille constamment entre le récit policier et le délire paranoïaque, la quête intimiste et le grand récit fantastique, redonnant une spiritualité et une profondeur inédit à des lieux, Paris et sa banlieue, qui nous semblent terriblement ternes aujourd’hui. Il y a bien évidement une envie très marquée d’offrir un pendant hexagonal au mythe de Cthulhu et aux textes délirants d’auteurs comme Machen, Poe ou Lovecraft en explorant des visions cauchemardesques, des œuvres d’art qui se transforment en passage vers un ailleurs souvent indescriptible. Ambitieux, mais l’auteur sait qu’il doit ménager ses effets et ne fait glisser son histoire que très progressivement dans le surréalisme, voir l’épique pour le final, s’appuyant sur des personnages bien écrits et une lente mise en place nécessaire pour percevoir tout ce que Les Navigateurs ne fera que suggérer. De la même façon, le choix du noir et blanc, sobrement rehaussé de dégradés de gris, et le trait relativement réaliste de Stéphane de Caneva participe de cette même sensation de transgression progressive. Sans couleur, les premières visions étranges (comme « la tête » qui attend avec son étrange sac sur les genoux, la visitation nocturne dans la cellule…) s’intègrent encore relativement bien à la crédibilité de l’ensemble, jusqu’à ce que le dessinateur se laisse totalement emporter dans le dernier chapitre par les représentations décadentes d’un monde parallèle sauvage, barbare et délirant.
Un album comme une porte d’entrée vers un monde plus vaste et un immense potentiel de récits « français » qui suivraient cette inquiétante mer intérieure.