LES DOUZE SŒURS DU CHÂTEAU SANS FIN
The Twelve Sisters of the Never-Ending Castle – Japon, Italie – 2021
Genre : Fantastique
Dessinateur : Shintaro Kago
Scénariste : Shintaro Kago
Nombre de pages : 92 pages
Éditeur : Éditions Huber
Date de sortie : 5 mai 2023
LE PITCH
Le monde a continué de s’étendre. Ainsi des réalités qui n’étaient jamais censées se rencontrer commencent à entrer en contact par manque de place. Le chaos menace de régner dans tous ces minis univers risquant de se toucher à tout moment. Cette situation va perturber le domaine d’Okayama et la quiétude qui y règne.
Conte pour adultes (connectés)
Après La Princesse du château sans fin l’année dernière, les éditions Huber poursuivent leur exploration de l’œuvre vertigineuse de Shintaro Kago (Dementia 21) en proposant sa suite directe (?) Les Douze sœurs du château sans fin où l’artiste inspecte les derniers recoins de ce Japon féodal métamorphosé par les concepts graphiques de la physique quantiques.
Comme sa première partie (pas forcément nécessaire pour raccrocher les wagons ici), Les Douze Sœurs du château sans fin est un manga produit en premier lieu pour le marché occidental, et en particulier l’italien Hollow Press. D’où cet étrange format large, proche de l’album franco-belge mais à couverture souple et avec un sens de lecture occidental. Une première approche un peu déstabilisante mais très loin d’être désagréable puisque les hautes planches permettent clairement à Shintaro Kago de se montrer plus précis et pointilleux que jamais. Reposant énormément sur ses constructions architecturales démesurées, semblants s’étendre et se répéter à l’infini, l’album s’étire presque de l’intérieur, repoussé par la pression d’un univers en constante expansion où les châteaux médiévaux se dédoublent, se multiplient, se recomposent comme des brins d’ADN tandis qu’à l’intérieur les habitants bataillent autant pour l’espace restant que pour s’emparer de la beauté des fameuses princesses. Kago s’empare presque docilement des apparats du grand récit historique dans un premier temps pour rapidement vriller vers un pur délire graphique où chaque nouvelle mésaventure vécue par les sœurs est surtout l’occasion de prolonger au-delà du raisonnable le concept totalement halluciné du titre.
Maitresses de maison
En sommes une vaste tragédie du pouvoir et d’opposition entre les royaumes ennemis qui se mue en expérimentation architecturales ou les interconnections se dirigent nettement vers des schémas mathématiques grandiloquents ou des visions au super microscope de connexions neuronales. Uniquement brossées à l’encre de chine, ces illustrations confinent à l’abstrait, à l’insaisissable souvent, et contrastent par leur rigueur et leur quasi-pureté, avec la violence et l’horreur corporelle qui sévit entre les murs des bâtiments. Figures sacrificielles et personnifications volontairement caricaturales de la position inconfortables des femmes dans le Japon féodale, les douze sœurs s’offrent aux sévices sadiques des seigneurs alentours dans quelques délires ero-guro dont l’artiste à le secret (compression des chairs, asticots glissés sous la peau…) et n’hésitent jamais à s’adonner au traditionnel sepuku. Mais ici les écoulements de tripes et de sang se muent justement en jaillissement de nouveaux bâtiments qu’elles pourront réinvestir dans un élan cyclonique des plus improbables.
Comme souvent avec Shintaro Kago, il est difficile de savoir dans quelle direction l’artiste veut nous embarquer et Les Douze sœurs du château sans fin semble se développer librement au gré des inspirations devant nos yeux. Une expérience forcément atypique.