Inspiré très fortement des textes de H.P. Lovecraft sans jamais le singer ou le citer ouvertement, le Mythe de l’ossuaire (ou The Bone Orchard Mythos en anglais) s’installe comme un arrière-plan des plus inquiétants, un réseau de croyances, de visions et de créatures terrifiantes qui attendrait à la lisière du monde connu. Entre rêves et cauchemars, terreurs psychologiques et visions terriblement graphiques, cette toile de fond admirablement révélée par les planches de Sorrentino, entre photoréalisme troublant et postures gothiques font apparaitre des hommes nus portant des masques dorés, un dieux corbeaux, des tunnels d’un noir impénétrables qui relient les mondes et des colosses statufiés aussi imposants que les grands anciens. Un imaginaire ambitieux, plus atmosphérique que sanglant, qui se décline qui plus est dans des formats volontairement assez variés. Ainsi si le prochain La Demeure (encore attendu par les lecteurs américains) prendra la forme d’une maxi-série de 10 fascicules au format comics classique, le grand tableau avait été entamé par un « Prelude » proposé au Free Comic Book Day, suivi de Le Passage en unique graphic novel (ces ceux-ci sont réunis en un seul album en France) et enfin Des milliers de plumes noirs fut publié comme une mini-série de cinq épisodes mais au format large.

Nevermoooore

Même volonté de varier les plaisirs dans le contenu des récits. Ainsi avec Prelude on s’intéresse à la retraite d’un auteur en manque d’inspiration, tiraillé entre sa femme et sa maitresse, et que la rencontre avec « l’autre » va métamorphoser. Le Passage lui suit un géologue qui enquête sur l’apparition d’un étrange trou béant sur une ile isolée et doit composer avec une gardienne de phare des plus taciturnes. Deux trames qui fonctionnent essentiellement comme des mises en bouches, un premier pas vers un univers beaucoup plus vaste. Des Milliers de plumes noires y entre enfin de plein pied en dressant le portrait de deux adolescentes, Trish et Jackie, passionnées de littératures et de jeux de rôle dont le monde imaginaire qu’elles se crée opère d’étranges connections avec ce Mythe de l’ossuaire. Des années après, Jackie revient enquêter sur la disparition de son amie et s’apprête à pénétrer une réalité qu’elle aurait préférée ne jamais connaitre. Comme pour le premier album, celui-ci mêle assez brillamment une épouvante fermement ancrée dans une authenticité quotidienne et une omniprésence des motivations psychologiques des personnages. Plus que des démons échappées des tréfonds de la terre, les créatures qui habitent les ténèbres des textes de Jeff Lemire semblent surtout être des extrapolations des fantômes qui hantent les personnages, leurs propres tourments, doutes, colères et mensonges qui prennent corps pour les entrainer avec eux.

Une atmosphère particulièrement réussie. Trois premières explorations qui laissent volontairement la place à toutes les extrapolations possibles… On attend fermement le prochain Tenement que les auteurs nous annoncent fortement influencé par le Inferno de Dario Argento !