LE MYTHE DE L’OSSUAIRE : LES RÉSIDENTS
The Bone Orchard Mythos: Tenement #1-10 – Etats-Unis – 2023 / 2024
Genre : Horreur
Dessinateur : Andrea Sorrentino
Scénariste : Jeff Lemire
Nombre de pages : 312 pages
Éditeur : Urban Comics
Date de sortie : 8 novembre 2024
LE PITCH
A la mort d’un de leurs voisins, dix habitants d’un HLM qui ne se connaissent que peu et que tout oppose devront coopérer alors que des phénomènes étranges surviennent autour d’eux. Invasion de mouches, baignoires remplies de sang, hallucinations glaçantes… le lugubre bâtiment cache une bien sombre histoire et un passage vers une dimension terrifiante, dans les tréfonds de laquelle ses résidents devront s’aventurer pour espérer en percer les mystères… et rester en vie.
L’horreur de la copropriété
Succédant à Le Passage et Des Milliers de plumes noires, Les Résidents permet à Jeff Lemire et Andrea Sorrentino de s’aventurer plus loin encore dans la nature profonde et terrifiante de ce culte qu’ils ont eux-mêmes créé : Le Mythe de l’ossuaire. Un album dans lequel la frontière entre notre monde et celui du mal parait décidément bien trop fine.
Depuis l’année dernière, Jeff Lemire et Andrea Sorrentino se sont lancés dans l’entreprise des plus ambitieuses de créer de toute pièce un univers mythologique ténébreux de toute pièce. Réunis sous la coupe du terme « Le Mythe de l’ossuaire » (ou The Bone Orchard Mythos en anglais), il laissait pour l’instant entrevoir que des bribes de son architecture, quelques rares émanations de ses habitants, quelques tableaux plus imposants, mais surtout les conséquences que pouvait avoir son contact avec notre monde réel. Les deux auteurs prenaient alors un malin plaisir à laisser les explications les plus complètes dans l’ombre, à peine évoquées devant un gigantesque puits sans fond laissant sortir quelques doubles maléfiques, où à suggérer que l’imaginaire de jeunes filles n’en étaient que des émanations. Des récits cauchemardesques, jamais très loin des effluves oniriques de Lovecraft et des racines bibliques, mais avec au passage une écriture toujours tournée vers l’humain, ses sentiments et ses tourments. Ils sont encore au centre de ce troisième volume, Les Résidents, avec un récit qui s’attarde désormais sur sept personnages vivants tous dans le même immeuble. Une veuve et son petit garçon trop intelligent, une artiste paumée et droguée qui couche avec son dealer… qui vit quelques portes plus loin, un époux qui prend soin de sa femme atteinte du cancer quand il ne dilapide pas l’argent aux jeux, un vieux misanthrope…
7 étages sans ascenseur
Un quotidien plutôt terne, voir dramatique, mais qui va finalement basculer alors que bâtiment entier est transporté ailleurs, dans un environnement de nuit, mortel, hanté par des doppelgängers toujours aussi avide de vie. Comme un huis-clos survivaliste, les protagonistes de Les Résidents, qui pour la plupart ne se croisaient qu’à peine ou s’ignoraient, vont devoir apprendre rapidement à œuvrer ensemble pour espérer s’échapper de ces murs et explorer les étages s’enfonçant de plus en plus profondément vers une terrible vérité. Les évènements surnaturels et carrément flippants s’accumulent et s’amalgament sous la forme d’un cauchemar partagé où la réalité s’effrite, mais il faut cependant attendre véritable le 7ème chapitre pour que la trame prenne forme grâce à une succession de révélations qui, en plus de faire le lien avec les albums déjà publiés, concrétise véritablement de nombreux indices disséminés jusque-là. L’occasion de visiter le passé d’un personnage central, mais surtout de revenir à l’aube des temps, d’assister à la naissance d’un anti-dieux et de ses apôtres (désormais nommés et organisés) et de visualiser leur royaume. Un récit qui s’emballe vers une échelle colossale et ou l’approche photoréaliste de Andrea Sorrentino (Batman Imposter, Gideon Falls…) trouve tout son sens en apposant ces humains réels, presque trop figés parfois, à coté de ruines immémoriales, de visions infernales baroques et de toiles apocalyptiques.
Comme pour les illustrations qui ont ce petit côté artificiel des collages photos, l’écriture de Jeff Lemire (Ascender, Sweet Tooth, Black Hammer…) semble parfois en pilotage automatique, jouant de ressorts, de constructions et de sursauts déjà éprouvés dans d’autres de ses créations, mais cette descente aux enfers reste un sacré voyage.