LE GOUFFRE DES RÉSURRECTIONS
France – 2024
Genre : Fantastique
Dessinateur : Gabriel Rodriguez
Scénariste : Hirodjee
Nombre de pages : 112 pages
Éditeur : Les Humanoïdes Associés
Date de sortie : 4 septembre 2024
LE PITCH
Greenwich, Angleterre, 1843, un célèbre explorateur prend la tête d’une expédition polaire. Deux ans plus tard, sans nouvelles de sa part, sa femme Lady Greenwood monte une nouvelle expédition pour partir à sa recherche, entourée d’un vieil amiral et de sa nièce extralucide. Elle découvre alors que son mari est en réalité parti sur une île légendaire où les morts reviendraient à la vie. Cela ne la décourage pas de poursuivre son entreprise, qui tourne progressivement au cauchemar, entre vie et mort.
Le doigt glacé de la mort
Inspiré par une authentique expédition menée par le capitaine John Franklin aux confins de l’arctique en 1845, et surtout par sa disparition et les vaines recherches commanditées par son épouse trois ans plus tard, Le Gouffre des résurrections imagine sur place un secret beaucoup plus ténébreux qu’une simple recherche scientifique.
L’époque reste la même, quelques faits réels sont intelligemment dilués dans la trame, mais les personnages changent de nom et le récit s’embarque assez rapidement sur des rives beaucoup plus horrifiques. Après avoir tenté de revisiter la conquête américaine par le biais de l’horreur mystique et culturelle avec Okanikaa, Hirodjee reste ici sur une partition assez proche (dont l’apparition inattendue des inuits) mais avec une structure et une efficacité beaucoup plus aboutie. Encore le récit d’une traversée au cœur de paysages menaçant, un monde sauvage encore mystérieux dissimulant en son cœur une magie et une créature oubliée, mais qui s’efforce surtout de mettre en avant des arguments plus spectaculaires, mélange très généreux entre le grand récit d’aventure (jusqu’aux chiens de traineaux) et série B habitée par des marins morts-vivants plus proches des contes gothiques anglo-saxons que des zombies haïtiens. De terribles attaques nocturnes, des apparitions fantomatiques en pagaille, des ours putréfiés qui prennent part à la bataille, un croquemitaine démoniaque et des effets gores à foison, Le Gouffre des résurrections en donne pour son argent quitte il est vrai parfois à vouloir en faire presque trop.
La partie émergée de l’iceberg
C’est qu’en plus de cette malédiction glacée, l’album joue aussi la carte des pouvoirs médiumniques, distille quelques éléments de sorcellerie autochtone et s’embarque même vers quelques révélations grotesques dans les derniers cahiers. On peut aussi émettre quelques réserves sur le traitement de Lady Greenwood, seconde femme de l’explorateur et véritable héroïne de l’histoire, dépeinte comme une femme forte, indépendante, intransigeante et terriblement courageuse, qui finira par accepter bien facilement l’égoïsme d’un époux qui aura emmené tout ce beau monde vers le royaume des morts. Un peu confus donc parfois dans ses intentions, mais néanmoins très efficace dans sa manière de mener l’action Le Gouffre des résurrections impose de toute façon un pouvoir de fascination certaine grâce à la prestation redoutable de Gabriel Rodriguez. Révélé au plus grand nombre par la création de Locke & Key aux coté de Joe Hill, mais aussi dessinateur sur Secret Show ou Little Nemo Return to Slumberland, le dessinateur d’origine chilienne signe là son premier album à l’européenne et se prête impeccablement au jeu. En donnant en premier lieu un aspect beaucoup plus réaliste et sage à son trait, moins épais et « cartoony » que par le passé, fouillant plus que jamais ses cases et assurant des décors impeccables extrêmement convaincants. De quoi donner une véritable emphase à la première partie très « historique », avant que les diverses émanations et créatures décharnées ne fassent leur apparition et s’approche plus nettement du baroque qu’on lui connait, jusqu’à quelques brèves visions cauchemardesques où le naturel revient au galop. Impeccable narrateur et artiste brillant, Gabriel Rodriguez offre vraiment une puissance indéniable à ce Gouffre des résurrections beau à se damner.