LE DÉSERTEUR
脱走兵のいる家 – Japon – 1991
Genre : Horreur
Dessinateur : Junji Ito
Scénariste : Juni Ito
Nombre de pages : 400 pages
Éditeur : Mangetsu
Date de sortie : 26 juin 2024
LE PITCH
Un déserteur se terre dans le grenier d’une famille qui lui cache une terrible vérité, une jeune secrétaire se rend dans la villa de son patron pour prendre part à un horrible festin, un écrivain débutant craint de se faire remplacer par le double maléfique qui peuple ses cauchemars, des centaines de nourrissons à travers tout le pays sont mystérieusement enlevés toutes les nuits…
Premiers cauchemars
Mangetsu propose un nouveau volume dans sa très belle collection (couverture en dur, grand format et surjaquette couleurs avec lettrage argenté) consacrée à l’œuvre de Junji Ito : Le Déserteur. Sauf que ce dernier compile douze des toutes premières histoires imaginées par ce dernier. Un artiste encore jeune, mais à l’horreur déjà bien affirmée.
On le sait, ancien dentiste, mais toujours habité par une véritable passion pour les mangas horrifiques, en particulier ceux de Kazuo Umezu (L’Ecole emportée) découverts durant sa jeunesse grâce à ses sœurs, Junji Ito finit par passer le pas en 1987 en proposant la nouvelle Tomie à la célèbre revue Gekkan Halloween. Mémorable même si bien évidement le trait reste à parfaire, et l’auteur devient alors très rapidement l’une des signatures incontournables du magazine. Outre les nouvelles apparitions de cette demoiselle qui ne cesse de renaitre, il va y proposer d’autres petites histoires qui vont lui permettre autant de creuser constamment son style visuel que s’essayer à quelques variations dans l’épouvante en approchant d’autres figures imposées du genre. Regroupant 12 histoires publiées de juillet 1987 à novembre 1990 et présentées dans un ordre chronologique, il est amusant de noter que l’ouvrage s’ouvre donc sur « Bio House» relecture très moderne du plus célèbre des mythes vampiriques avec épouses affamées et insectes dévorés, puis qui dévorent à leur tour, tout cru. On observe d’ailleurs que même s’il se détache par la suite totalement des oripeaux gothiques, la notion du vampire hante régulièrement les historiettes que ce soit « Comme deux gouttes d’eau » et sa voleuse maladive de visages, « un endroit où dormir » et son double qui s’efforce de reprendre possession du corps par l’intérieur, « l’épée de réanimation » presque aux accents shonen avec son épée qui permet la résurrection des morts et peut-être surtout avec « Dans le cœur d’un père ». Pas forcément le conte le plus macabre de l’album mais certainement l’un des plus surprenants où juste la capacité d’un père de famille, autoritaire et culpabilisant à l’extrême, à prendre possession du corps de ses propres enfants revêts brillamment la forme d’une critique du paternalisme et du respect forcé de l’autorité familiale japonaise.
Les sadiques
Parmi les autres grandes réussites de ce recueil, on retrouve forcément le bien connu « De longs cheveux sous le toit » (vu il y a longtemps chez Tonkam dans l’anthologie Le Mystère de la chair) dont la longue chevelure noire dévoreuse de rats et prête à se venger d’un ex peu attentionné annonce nombres de concepts de la J-Horror, « La sadique» qui a déjà bien sa place dans Les Chefs d’œuvre de Junji Ito T2, et le terrifiant « L’insoutenable labyrinthe » dont les ascètes desséchés d’une curieuse secte ont récemment fait le bonheur des spectateurs de la série animée Netflix : Maniac par Junji Ito. A coté, le très démonstratif et Lovecraftien »Le Village des sirènes» se montre plus amusant que vraiment inquiétant tant on sait que Ito est bien plus efficace lorsqu’il tire le fil d’un quotidien dévié, d’un ordinaire subtilement cauchemardesque, mais »Le Déserteur» qui clôt l’ouvrage et lui donne son titre, détonne très agréablement dans sa bibliographie. Une horrible histoire très ancrée dans les heures sombres de l’histoire japonaise où une famille revancharde et sadique fait croire à un jeune déserteur caché dans le grenier que la Seconde Guerre Mondiale continue des années après l’abdication de 45. Un drame psychologique, une petite réflexion bien noire sur le patriotisme et la honte de la défaite dont la conclusion se rapproche joliment des grands contes fantomatiques de Kwaidan.
Forcément moins maitrisé, moins égal, que d’autres compilations déjà sorties en France, Le Déserteur aborde un pan moins connu de la carrière de Junji Ito. Des débuts où ce dernier se chercher encore, varie les formes et les style, rend hommage à nombres de ses modèles, affirme la précision de ses dessins (la progression est ici spectaculaire), mais offre aussi bien entendu quelques visions bien dérangeantes et effrayantes sur la nature humaine et l’inexplicable qui nous entoure.