Cette nouvelle mini-série est donc l’histoire d’un ogre. Un monstre mythique connu sous le nom de Bakasura et craint pour sa faculté à engloutir des quantités astronomiques de nourritures… mais aussi ceux qui l’avaient préparée. Vaincu il y a bien longtemps par un héros traditionnel, il décida de se faire plus discret, dissimulé quelques siècles dans une grotte, dont il ne finira par sortir que pour aider une famille à tenir un restaurant de bord de mer. La nourriture encore et toujours. Mais celui qui s’appelle désormais Rubin veut faire une grande œuvre ; un documentaire itinérant à la façon du chef Anthony Bourdain. Et alors qu’il embarque avec lui un jeune réalisateur désœuvré avec lui, ses vieux appétits, forcément, se rappellent à lui. Un voyage donc au travers une Inde moderne, colorée, fourmillante, vivante, où notre guide prend autant de plaisir à nous livrer les authentiques recettes des plats locaux les plus traditionnels qui soient (le thé Masala chai, le gigot d’agneau à la cuillère, le Raan à la chèvre…) que les destins de ceux qui les ont préparé. Des hommes et des femmes comme les autres, mais dont la vie aura justement été habité par cette transmission de la mémoire culturelle et familiale qu’est la cuisine.

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Tout se mélange dans la narration de Ram V et sa mise en image intense et vibrante par Filipe Andrade, avec une exploration poétique des paysages et des gens, la mise en valeurs des souvenirs et des émotions des uns et des autres, la farce mythologique et le conte initiatique, l’errance réaliste et la traque par deux chasseurs de démons, comme dans une recette généreuse et complexe où les essences de chaque ingrédient viennent révéler les saveurs des autres. Heureux hasard ou savant mélange, seul l’auteur le sait naturellement, mais il y a effectivement là une forme d’alchimie miraculeuse dans cette manière de concevoir le plus librement du monde un comic qui ne fait que parler de l’éphémère existence humaine, son absurdité, mais aussi sa faculté à transformer l’acte le plus étrange qui soit (dévorer le vivant pour rester vivant) en un acte créatif, artistique voir virtuose. Comme dans Toutes les Morts de Laila Starr mais aussi Blue In Green, Grafity’s Walls, These Savage Shores et certaines de ses publications mainstream (de Batman à Swamp Things) Ram V explore cette magie créative, ces petites touches de sublime qui peuvent littéralement transformer l’existence et lui donner, quoi qu’il arrive de la valeur. Le Dernier Festin de Rubin n’est donc pas tout à fait l’histoire d’un ogre, mais plutôt celle de ceux qu’il a croisé (et parfois mangé…. par amour comme il dit) et surtout du cinéaste Mohan, seul encore présent dans le dernier chapitre, récipiendaire de ces expériences, de ces petits périples et surtout des grandes vérités qui lui auront été révélées. Là encore une recette, celle du Paal Payasam (dessert à base de riz et de lait) qui va lui permettre de faire la paix avec lui-même et la mémoire de sa mère.

Une bien belle balade à travers le temps, à travers l’Inde et à travers les hommes qui donne envie de plats épicés et de festins animés.