Amélie est une femme comme tous les époux hollandais du XVIe siècle pourraient en rêver : discrète, docile, appliquée. Elle, issue d’une famille d’aristocrates sans le sou, se plie aux taches journalières et aux soins indus à son fier époux, beau et fier commerçant de la cité. Naturellement, ce quotidien n’est absolument pas aux goûts de la jeune femme et le peu de place laissée à son existence, à ses désirs, lui donne des envies d’ailleurs, de découvrir et comprendre le monde. Mais la société étant ce qu’elle est… Avec une ligne d’une grande pureté, un noir et blanc épuré mais intensément charnel, une grande finesse dans les détails aussi bien historiques qu’expressif, Yudori capture merveilleusement la vie de cette maison, déjà pétrie de tensions, de rancœurs et d’une ferveur religieuse jamais récompensée, mue par un rythme presque inébranlable… Sauf par la quête scientifique d’Amélie qui s’efforce de découvrir un moyen de voler au risque de faire honte à son époux. Sauf par l’arrivée de Sahara, belle esclave venue d’orient, ravie à son peuple, puis à son sauveur, pour venir orner la demeure.

Peaux contre peaux

Elle n’est qu’acceptation, docilité et la rencontre entre les deux femmes, sous le regard des deux servantes (la vieille domestique autoritaire et Yolante l’adolescente gironde toujours dans la séduction), va osciller entre opposition, compréhension et pourquoi pas désir.

Séparées toutes deux par des cultures diamétralement opposées, par les barrières de la langue, par des visions de l’existence que l’on pourrait penser incompatibles, par leur « utilité » même au sein de la maison, Amélie et Sahara sont liées par leur féminité, par le peu de place que leur laisse le monde d’alors. Un récit de femmes écrasées par une simple présence masculine, par une société patriarcale injuste que l’artiste fit vivre par petites touches délicates ou cruelles, froides ou sensuelles, mais toujours avec une justesse et une finesse d’analyse qui dépasse aisément les motivations féministes du récit. Comme une fresque de l’intime, Le Ciel pour conquête mélange symbolisme, existentialisme et étude historique pour faire naître la poésie normalement inaccessible de ces femmes qui permettront par leur intelligence et leur pugnacité l’envol de la première montgolfière… que la réappropriation masculine, mercantile et ridicule, finira bel et bien par leur offrir la liberté, non sans ironie, tant attendue. Une première œuvre d’une très grande maturité, d’une délicatesse constante et d’une beauté imposante.