L’ARMÉE DES OMBRES
France – 2024
Genre : Historique, Espionnage
Dessinateurs : Emmanuel Moynot, Benoît Lacou
Scénariste : Jean-David Morvan
Nombre de pages : 120 pages
Éditeur : Philéas
Date de sortie : 17 octobre 2024
LE PITCH
L’histoire se déroule en France, entre 1942 et 1943. On suit les membres d’un réseau de la Résistance, dirigés par Philippe Gerbier, ingénieur et chef de réseau. Des hommes et femmes courageux qui luttent contre l’occupant allemand et la collaboration, au péril de leur vie. À travers leurs combats, on découvre l’importance des valeurs de solidarité, de courage et de sacrifice : une plongée dans les conditions de fonctionnement de la Résistance, dans une France éprouvée.
« Dans la nuit, la liberté nous écoute »
Grand scénariste de séries de science-fiction et d’aventures, créateur entre autres de la saga Sillage, Jean-David Morvan est aussi un auteur habité par la question de la résistance et ses grandes figures. Ainsi il publiait chez Dupuis en février Missak, Mélinée et le groupe Manouchian et en août dernier le troisième tome de Madeleine résistante, deux œuvres mélangeant enquêtes, témoignages (la fameuse Madeleine vient de fêter ses 100 ans !) et un sens évident de la transmission, du souffle de l’histoire. Rien d’étonnant alors qu’il se soit finalement penché sur une adaptation de l’incontournable roman de Joseph Kessel : L’Armée des ombres.
Un grand livre justement écris durant ces années-là, où le romancier s’est efforcé de changer les lieux et les noms, de mélanger certaines figures, mais uniquement pour des questions logiques de sécurité et non de romantisme. L’idée du livre était justement de rester au plus près de la réalité de ces hommes et de ces femmes, plus ou moins investis dans le combat contre l’occupant allemand, dont le quotidien n’était plus que secrets, dissimulations et dangers. Un roman de témoignage, presque documentaire, comme l’avait d’ailleurs très bien compris le magnifique film de Jean-Pierre Melville avec Ventura et Signoret. Lourde tache donc d’offrir une nouvelle dimension à ce classique autant de la littérature française que du récit historique, mais que Jean-David Morvan relève avec talent et humilité, s’efforçant de rester toujours très proche des épisodes contés par Kessel, reprenant très souvent directement ses mots, reproduisant efficacement son ton presque factuel, pour toujours garder en image cette vision de « héros » (même s’ils n’aiment pas ce terme) ordinaire. En gardant ce même ton à hauteur d’humain, l’album peut alors en éclairer toutes les facettes, ces élans résistants, cette foi en l’autre, en la nation française, mais aussi cette part de plus en plus noir qui étreint leurs âmes.
Journal de guerre
Comme Gerbier, figure centrale, et d’autres le disent très bien, ils ne s’imaginaient pas forcément devoir devenir à leur tour des meurtriers, des tueurs de sang-froid. Le récit s’ouvre d’ailleurs sur une lente et difficile exécutions (limite amateur) d’un traitre, poussé à parler pour protéger ses proches, exposant d’emblée les situations extrêmement difficiles auquel leur choix de vie peut les amener. On y croise ainsi autant quelques haut faits spectaculaires (évasions in extremis, éliminations de troupes nazi…), des description pointues de l’organisation des réseau, des illustrations ironiques de la chape opaque du secret (l’un découvre qu’il a toujours été sous les ordres de son frère), mais aussi l’horreur à laquelle ils ont pu être confronté : le récit évoque à demi-mot les camps de travail voir de concentration où sont envoyés certains, les terribles tortures subies par les camarades et les promesses sordides faites aux femmes et à leurs filles, les exécutions en nombres… Pourtant, s’il y a bien une chose que voulait souligner ici Kessel, c’est l’abnégation d’une partie du peuple français, capable de faire fi, de dépasser sa peur, ses convictions politiques (communistes et royalistes alliés pour la même cause…) qui permit justement d’épuiser l’armée allemande avant la Libération. Un travail admirable de la part de Morvan, mais aussi de l’illustrateur Emmanuel Moynot (L’Heure des bombes, les derniers Nestor Burma…), aidé par Benoît Lacou pour les décors, qui plutôt que de jouer le réalisme verrouillé, mêle sa reconstitution historique avec des formes et des lignes épurées venant souvent révéler les émotions et les atmosphères dissimulées pudiquement dans les dialogues.
La BD ne remplacera certes par le roman d’origine, et ce n’est pas sa volonté, mais en propose comme le film un complément intéressant et fidèle dans le sens et le message, peut-être plus à même d’attirer de nouveaux lecteurs. En prime, l’édition propose un véritable cahier complémentaire revenant sur l’implication de Joseph Kessel dans la résistance, certains faits réels et l’écriture du roman autant que des paroles du « Chant des partisans » dont il est le co-auteur avec Maurice Druon.