LA PASSE-VISAGE

Shifter – Etats-Unis – 2025
Genre : Science-Fiction
Dessinateur : Koren Shadmi
Scénariste : Koren Shadmi
Nombre de pages : 192 pages
Éditeur : Marabulles
Date de sortie : 16 avril 2025
LE PITCH
À New York dans un futur proche, un implant cérébral permet de changer d’apparence de façon instantanée. Ces humains augmentés, surnommés « Passe-visages », louent leurs services pour soulager la solitude de leurs clients. Rose, une aspirante actrice, est devenue passe-visage à plein temps…
Derrière les masques
Koren Shadmi (Lugosi, Le Voyageur…) est un homme de science-fiction. Mais comme le montrait sans ambiguïté son portrait hommage de Rod Serling, créateur de La Quatrième dimension, il est de ceux qui l’aborde pour un poser des questions plus philosophiques que purement technologiques. La Passe-visage se passe ainsi bien dans le futur, mais pose des questions on ne peut plus actuelles et intimes.
Un avenir baignant dans les nouvelles technologies, les écrans, les implants, la robotique et les designs qui paraissent aujourd’hui improbables (costumes, décos intérieures…) et où certains peuvent même désormais changer de visage à loisir. Une simple opération, la superfaciaplastie, une puce glissée sous la peau, et les patients copient à volonté des visages croisés dans la rue ou observés sur des vidéos. Une avancée considérable qui dès lors crée un tout nouveau métier dans lequel ces « passe-visages » jouent le rôle d’anciens amants, d’épouses ou enfants décédés, des membres de la famille avec qui ont a coupé les ponts, autant pour permettre de facilité le deuil, offrir une séance de thérapie brutale, faire plaisir aux parents qui voulaient croiser la fiancée, ou humilier une adolescente trop populaire… Tout dépend de la moralité du client et du performeur, mais l’état n’a pas encore eu le temps de statuer sur un cadre légal. L’histoire s’arrête sur Rose, jeune actrice qui rêve de percer dans le métier (un jour), mais qui surtout s’efforce de collecter suffisamment d’économie pour payer un avocat à même d’obtenir une garde partagée de sa fille.
1001 visages
Entre ses différents contrats, ses cours à l’école d’arts dramatiques et ses rares rencontres avec sa fille, l’album dessine progressivement autant le fonctionnement biaisé d’une société entièrement habitée d’âmes esseulées, que le portrait d’une femme fragile, perdue, en quête justement de sa propre place et d’un vrai visage, le sien. Les autres renvoient ainsi constamment à son insuffisance, à ses déséquilibres et à une vie qui est surement encore moins aisée et normale qu’on le pensait au départ. Koren Shadmi livre ici un vrai drame d’anticipation, usant donc de son cadre imagé pour mieux aborder la psychologie de son personnage tout en faisant échos à quelques maux de nos sociétés contemporaines (le rapport à l’image, la surexposition, la célébrité…). Rose devient alors rapidement un personnage intriguant, vraiment passionnant et surtout particulièrement touchant dans sa misère et ses tentatives pour s’en extraire, jusque dans les chapitres finaux évoquant un mal être plus profond qu’on ne l’imaginait et s’achevant sur une note d’espoir d’une belle simplicité. Un portrait tout en délicatesse où l’on retrouve ce trait presque naïf, stylisé et expressif, fortement influencé par le style de Daniel Clowes (Ghost World) mais avec ici un nouveau palier dans l’affirmation du trait, la fermeté des contours, le traitement des couleurs (en aplats tranchés essentiellement) et surtout la maitrise du découpage. D’apparence sobre et classique, ce dernier redessine le rythme des séquences et sait toujours valoriser un cadre, un effet, une composition, à même de révéler l’état de sa protagoniste. Une œuvre sensible et pertinente.