LA MÉCANIQUE T.1 : EN MOI LE CHAOS
France – 2025
Genre : Science-Fiction
Dessinateur : Jef
Scénariste : Kevan Stevens
Nombre de pages : 84 pages
Éditeur : Soleil Editions
Date de sortie : 15 janvier 2025
LE PITCH
Dans une mégalopole au bord de la guerre civile, rongée par le crime, la technocratie et la dictature des écrans, le Blast, une drogue musicale de synthèse ultra puissante, provoque une hécatombe d’overdoses. La mafia se déchire, les technos lâchent leurs commandos, la population se soulève. Tous les rouages sont en place pour que s’enclenche une implacable mécanique.
Pièce par pièce
Kevan Stevens et Jef sont de retour. Après la virée despérado et le Fury Road sur l’autoroute du soleil, les auteurs de Mezkal et Convoi continuent leur exploration d’une humanité peu reluisante et d’un futur peu aguichant, mais délaissent l’humour noir et l’esprit bis pour un tableau bien plus sombre et amer.
Dystopie je cris ton nom ! Encore une fois notre avenir incertain a rencontré nos pires cauchemars et les pires travers de nos sociétés ont eu gain de cause sur une pauvre planète et sa chère nature sans défense. Plus rien ne vie, plus rien ne bouge, même plus trop les dernières humains enfermés dans des mégapoles surpoluées, surpeuplées, surcontrôlées où même la musique est devenue, par essence, dissidente. De déserts aux larges horizons sans fin, Jef passe à une vision obstruée d’une agglomération lyonnaise toute en structures de béton et de métal noir, faite en strates vertigineuses, et aux ciels constamment nuageux. Plus un centimètre de vide pour un décor qui étouffe constamment sous son propre poids, sous son désespoir et son inhumanité. Artiste talentueux capturant toujours en quelques cases, quelques traits, l’essence de ses (nombreux) personnages, Jef impose ici surtout la construction d’un univers. Certes pas totalement original, fortement inspirée par Blade Runner entre autres, mais toujours impressionnant de détails, de cohérence et d’éloquence.
Le grand saut
Exit cependant l’énergie pulp d’autrefois, les délires spectaculaires à la Mad Max et les cascades de Desperado. Malgré quelques scènes d’action ou de poursuites, le ton se fait nettement plus contemplatif, mélancolique, sans espoir, entre joyeuseté des régimes dictatoriaux et société entièrement gangrénée par la criminalité à haute échelle. C’est que là aussi, le scénariste Kevan Stevens mise pour l’instant tout sur son monde ré-imaginé, décrivant par petite touche l’atroce réalité de ce monde futur, le sort réservé aux quelques privilégiés autant qu’aux populations dites contaminées laissées en dehors des murs, explorant doucement les fonctionnements de la cité, introduisant quelques visages déjà réguliers qui vont se croiser, ou pas, au grès d’une construction en récits parallèles. Il y a ce maire, directement échappé d’un film de George Miller, qui règne d’une main de fer, snippe les pauvres d’en bas et regrette le bon temps, sa fille qui cache des connexions profondes avec un groupuscule libertaire dit « terroriste », le gardien de l’ordre privé aussi ripoux que désabusé… et un musicos, commandité en secret pour jouer pour quelques magnats voulant pimenter leurs ébats amoureux. Un physique, une guitare, une dégaine et un certain spleen qui rappelleront forcément à beaucoup le héros de Meskal. Difficile pour l’instant de deviner où se dirige véritablement La Mécanique, triptyque manifestement ambitieux qui prend justement son temps pour mettre sa machine en marche, bien huiler les rouages et entamer sa petite musique destructrice.
Obscure souvent, un peu haché, pas bien joyeux, pourtant ce premier album, En moi le chaos, impose des plus efficacement son univers et son récit choral, donnant très rapidement envie au lecteur de savoir comment cette tragédie du futur va se finir. Mal sans doute, mais le plus intéressant est toujours la chute.