LA MARE

De Kuil – Hollande – 2024
Genre : Thriller
Dessinateur : Erik Kriek
Scénariste : Erik Kriek
Nombre de pages : 136 pages
Éditeur : Anspach
Date de sortie : 23 février 2024
LE PITCH
Après la mort tragique de leur fils, Huub et Sara s’installent dans une maison de famille isolée dans les bois de Veluwe pour faire leur deuil. Sara, artiste-peintre, abandonne son traitement psycho-médical pour se plonger dans la création de nouvelles toiles. Elle trouve de vieux carnets de croquis ayant appartenu à l’oncle de son époux et sombre dans la folie.
Eaux troubles
Il faut bien l’avouer, rare sont les auteurs de BD hollandais à s’exporter hors de leurs frontières. Erik Kirek a pourtant réussi à se faire un nom par chez nous, en particulier après le précédent L’Exilé et sa fresque Viking. Il vient à nouveau confirmer son talent avec La Mare, drame conjugal empreint de mythes anciens…
Comment se relève-t-on de l’impensable ? D’un drame intime dévastateur qui remet toute notre vie en question. Il y a cinq ans l’auteur à subit un infarctus cérébral qui a paralysé son coté gauche. Il aurait pu s’effondrer, se laisser abattre, mais ses proches lui ont redonné la force de se relever. Dans des interviews données dans son pays d’origine, Kriek ne cache pas que cet évènement à directement inspiré la création de La Mare, où le drame partagé d’un couple est la perte de leur fils dans un dramatique accident. Quelques années après, lui s’efforce de reprendre le court normal de leur vie, elle en a perdu tout forme d’envie et sa force de création d’artiste peintre. Tout va changer lors de leur arrivée dans une nouvelle et ancienne maison perdue au milieu d’une forêt emprunte de nombreuses légendes. Et oui, l’album est bien une histoire d’épouvante, mais de celles qui installent leurs ténèbres dans le cœur de ses personnages, dans leurs blessures et leurs failles. Sara se passionne ainsi pour de vieux carnets retrouvés au grenier, remplis d’annotations et de textes étranges, mais elle arrête aussi de prendre les médicaments prescrit par sa psychiatre.
Deuils
Lequel des deux la fait glisser définitivement vers ses névroses ? Lequel des deux fait apparaitre son fils devant elle ? Et quel est le lien avec ses amis et voisins qui disparaissent dans les bois, jamais très loin de cette mare poisseuse apparue un lendemain de tempête ? Kriek ne se laisse jamais aller aux gros effets et à l’horreur purement frontale, préférant ménager une atmosphère qui se fait de plus en plus lourde et oppressante alors que la réalité semble s’étioler entre ses mains à elle devant le regard désespéré de son époux. Des personnages touchants, crédibles, perdus et esseulés chacun à leur manière qui aurait pu habiter une tragédie tout ce qu’il y a de plus réaliste, mais ils sont aussi les victimes d’un auteur qui n’a jamais caché son intérêt pour l’œuvre d’H.P. Lovecraft comme le prouvait son recueil L’invisible et autres contes fantastiques paru chez nous en 2012. Ici l’indicible et les croyances ne sont jamais loin alors que les glyphes étranges marquent les arbres menaçants et qu’un point d’eau, noir et insondable semble tout attirer à lui. Certes le point de départ n’est pas totalement original et ce genre de récit horrifique croisant les genres a déjà été lu ou vu, mais l’auteur impose une authentique tension et une profondeur psychologique particulièrement convaincantes.
Une ambiance toute particulière bien entendu apportée par son approche visuelle, toujours marqué par son intérêt pour la linogravure, avec ses pleins et ses vides marqués, ses contours bruts et ses traits lourds où l’on se plairait presque parfois à reconnaitre une filiation avec les EC Comics d’autrefois. C’est bien entendu un compliment.