LA MAISON USHER
France – 2023
Genre : Fantastique
Dessinateur : Jaime Calderon
Scénariste : Jean Dufaux
Nombre de pages : 56 pages
Éditeur : Delcourt
Date de sortie : 22 novembre 2023
LE PITCH
« Comment deviner ce qu’elle recèle, cache, vit. Tout voyageur préfère passer son chemin devant la maison Usher… » Ainsi débute ce récit d’horreur gothique revisité où Edgar Allan Poe lui-même s’invite chez la famille Usher au destin aussi funeste qu’inéluctable…
La Maison des diables
Grand classique de la littérature gothique, maintes et maintes fois adapté et remanié, La Chute de la Maison Usher se réinvente aujourd’hui encore. Par le biais d’une série télé imaginée par Mike Flannagan diffusé sur Netflix, mais aussi par une réinterprétation en album sous la plume de Jean Dufaux (La Complainte des landes perdues) et les pinceaux de Jaime Calderon (Valois, Les Voies du Seigneur…) qui n’hésite pas à y mêler Edgar Alan Poe en personne.
Rares sont les textes à avoir aussi habilement et durablement imposés une atmosphère aussi sépulcrale et obsédante que celle de La Chute de la Maison Usher. Un conte terrifiant habité par une famille en fin de règne, hantée par la folie et pire, et où les murs mêmes semblent traversés par les disparus en pleine décrépitude et les pulsions inavouables. Une atmosphère unique que s’efforce de faire renaitre Jean Dufaux en se réappropriant ses ingrédients les plus manifestes et en les réorganisant de manière assez originale. Le narrateur, dont on découvre ici le nom Damon Price, n’arrive plus vraiment à la maison par hasard, par cette envie de visite familiale, mais y a été incité, dirigé, invité de la plus étrange des façons alors que se tissait autour de lui quelques menaces dues à ses faiblesses pour jeu. Un héros faible, profitant un peu lâchement de sa compagne prostituée, et qui n’échappe à la mort qu’en se jetant dans une voiture tout en noir qui l’attendait au coin de la rue. Un voyage digne des premières pages du Dracula de Bram Stoker, qui va finalement l’amené où réside son cousin Roderick Usher, qui justement n’attendait que lui… Demeure lugubre, tableaux qui semblent suivre les protagonistes de leur regards, apparition de la sœur disparue qui traverse les couloirs la nuit, cauchemars violents et obsédants… La maison fantômes reprend vie alors que la folie cruelle du maitre de maison se fait de plus en plus évidente.
« Je sentais que je respirais une atmosphère de chagrin »
Malgré quelques excès plus portés sur la démonstration et l’action (la sortie des zombies pas forcément utile), Dufaux capture à merveille l’ambiance et l’inquiétante étrangeté des textes de Poe, tissant discrètement un réseau de références et de codes élégamment mêlés s’extrayant vers la littérature anglaise du XIXe siècle dans son ensemble. Mais l’auteur ne se contente pas d’y rejouer la pièce finalement bien connue (même s’il appuie plus ouvertement sur les effluves incestueuses) car il y croise une réflexion assez poétique sur les rapports troublants que peut avoir un créateur avec son œuvre et ses personnages. Edgar Alan Poe n’est pas seulement ici l’auteur de la nouvelle, mais aussi l’un des protagonistes du récits, témoins à distance mais conscient d’avoir une incidence, partielle, sur les évènements en cours, dont il s’efforce de limiter les accents funestes. Une optique intéressante, même si elle parait un peu inaboutie, qui étoffe un très bel album ou éclate une nouvelle fois les talents de l’illustrateur Jaime Calderon. Spécialiste jusque-là des récits historiques et d’une recherche constante de détails, dans les costumes, personnages ou décors, de véracité proche de l’illustration scolaire de grande qualité, il préserve ici sa maitrise fouillée du trait, la richesse imposante de ses arrières plans, et les teintes d’éclairages plus sinistres et d’ombres plus dominantes. Avec sa colorisation délicate et nuancée, pourtant conçue en numérique, ses planches viennent titiller les souvenirs de grands classiques du cinéma gothique, se donnant des airs de film de Roger Corman mais avec beaucoup plus de budget.
Du bel ouvrage mis en valeur par l’éditeur Delcourt proposant une couverture avec une tranche toilée et en fin d’album une reproduction de la nouvelle originale dans sa traduction la plus célèbre, celle écrite par le poète Charles Baudelaire.