LA MAISON DES IMPIES
Houses of the Unholy – Etats-Unis – 2024
Genre : Policier
Dessinateur : Sean Phillips
Scénariste : Ed Brubaker
Nombre de pages : 144 pages
Éditeur : Delcourt
Date de sortie : 23 octobre 2024
LE PITCH
Deux agents du FBI, dont une femme liée à des pratiques sataniques dans les années 1980, doivent retrouver, coûte que coûte, un tueur fou…
Les démons de l’enfance
Les maitres du polar en comics, Ed Brubaker et Sean Phillips, alignent leurs albums avec une rigueur rythmique impressionnante. Quelques mois après l’exercice narratif Là où gisait le corps, le duo revient en terrain connu avec une mise en exergue des ténèbres de l’Amérique des années 70 dans un mélange de thriller et d’horreur éprouvé.
Si les multiples théories du complot occupent encore et toujours la scène médiatique, et plus encore les recoins les plus obscures du net, il est difficile aujourd’hui de réaliser à quel point l’Amérique des 70’s était totalement obsédé par la thématique du satanisme. Le diable était partout, à la télévision, au cinéma, dans les romans, mais aussi dans les journaux et les rumeurs faisaient cas de sectes sanguinaires, de kidnappings d’enfants en pagailles et autres sacrifices mystérieux… d’autant plus non élucidés qu’ils n’existaient généralement pas du tout. Une ambiance des plus particulières, une obsession maladive et le symbole, involontaire, de l’effondrement d’un certains rêve idéaliste dans lequel le nouvel album de Brubaker et Phillips plonge directement ses racines puisque la détective privée, Natalie Burns, spécialisée dans la recherche de jeunes endoctrinés par les sectes, a elle-même été confronté au phénomène lorsqu’elle était petite. Elle fut l’une des « enfants de Satan » groupe de gosses qui accusa les adultes d’une colonie de vacances de leur avoir fait subir violences et attouchements avant de les offrir au malin. Bien des années plus tard, Natalie reste hantée par ce phénomène médiatique qui aboutie au suicide de certains des accusés avant que la vérité ne fasse finalement surface. Comment vivre avec la culpabilité, comment échapper à ces démons de l’enfance, à cette marque indélébile ?
Culte maudit
La Maison des impies est particulièrement intéressant quand il s’attarde justement sur l’esprit torturé et hanté de la protagoniste et, au travers de flashbacks tout de rouge, révisant peu à peu les points de vue, sur les mécaniques de cette « panique satanique » et les dégâts provoqués sur les esprits fragiles et leurs proches. Malheureusement le centre de l’affaire et cette (courte) série de meurtres qui frappe les survivants se montre beaucoup moins original et accrocheur, rejouant la carte déjà bien éprouvée du piège tendu de fil blanc, d’un traitre visible comme le nez au milieu de la figure (l’agent du FBI mis à pied), avec une sensation de précipitation constante. Les personnages secondaires sont vraiment brossés à la va-vite (en particulier le frangin, qui ne s’échappe pas de la figure du nerd complotiste pathétique) tandis que les révélations attendues ne prennent surtout pas le risque d’aller plus loin dans une direction, le polar scabreux, ou l’autre, le surnaturel apocalyptique, achevant l’album sur une série de planches n’apportant aucune conclusion véritablement satisfaisante, autant pour l’action que pour les thèmes abordés. Petite déception jusque dans l’approche graphique de Sean Phillips, qui semble se contenter d’illustrations presque trop classiques, aux ambiances jamais tranchés, comme si le mélange entre le réalisme évocateur d’un Reckless et le cauchemar ténébreux d’un Fatale ne prenait jamais totalement.
Une fois n’est pas coutume Brubaker et Phillips manquent d’intensité et de jusqu’au-boutisme dans La Maison des impies, comic pourtant des plus prometteur avec son thème, à la fois social, politique et frappé du sceau des grands genres, idéal pour ces deux signatures. Un moment de faiblesse dans une carrière qui n’était pas loin du sans faute jusque-là.