LA MAIN DU DIABLE
France – 2025
Genre : Fantastique
Dessinateur : Griffo
Scénariste : Rodolphe
Nombre de pages : 56 pages
Éditeur : Anspach
Date de sortie : 17 janvier 2025
LE PITCH
1892, à bord du Caldonia, l’écrivain Robert-Louis Stevenson rencontre un certain Charles Dawson, un admirateur très fortuné qui lui raconte son étrange histoire. Dawson doit sa fortune à une main momifiée qui passe pour être celle du Diable, lui-même. Celui qui la possède voit réaliser le moindre de ses souhaits. Mais, s’il meurt sans avoir réussi à s’en défaire, il est envoyé brûler dans les flammes de l’enfer.
Un souhait innocent
Au grand bonheur de l’éditeur (qui s’en est ouvertement réjoui sur les réseaux sociaux), les deux grands noms de la BD franco-belge Rodolphe et Griffo signent pour la première fois un album chez Anspach. Changement de crèmerie mais certainement pas de qualités pour cette nouvelle version graphique du célèbre conte de « la main enchantée ».
Une légende plutôt commune dans l’Europe du 19e siècle, empruntée autant à cet artefact aux airs de gris-gris imaginé par les ordres de voleurs en momifiant la main d’un condamné (la main de gloire) et remis en prose par Gérard de Nervalle dans le texte La Main de gloire : histoire macaronique, puis renommé plus sombrement La Main enchanté. Un conte célèbre et largement diffusé qui a certainement inspiré en partie Le Diable en bouteille du tout aussi illustre Robert Louis Stevenson quelques 60 ans plus tard. Le solide scénariste Rodolphe, habile conteur maniant aussi bien la science-fiction (Centaurus), l’aventure (Amazonie) ou le fantastique (La Maison dieu), s’amuse ici à croiser les deux modèles et même plus ou moins à y insuffler d’autres versions allant du film de Jack Tourneur à, pourquoi pas, la parodie des Simpson, pour s’efforcer d’en obtenir la substantielle moelle. Bien entendu l’alibi fantastique d’une main permettant d’accorder tous les vœux de son possesseur, vient surtout jouer sur la notion de destin et de la nature humaine face à une réussite plus ou moins méritée. Mais associé à cette notion menaçante d’une malédiction promise si celui ne peut s’en débarrasser selon les règles, cette promesse se teinte aussi d’un certain suspens autant qu’un éclairage dramatique sur le coût de cette gloire éphémère.
A double tranchant
Un conte moral donc, parfaitement capturé par Rodolphe qui s’amuse à placer le brave Stevenson en témoin direct, mais aussi à étendre considérablement le récit vers des rives moins égoïstes qu’autrefois. Désormais amoureux, Charles Dawnson ne se bat plus que pour sa propre rédemption, mais aussi puis surtout de celle de la femme qu’il aime. Des contours assez classiques mais joliment amenés, rythmés par les voyages tout autour du monde (du soleil des iles Jamaïque aux rues nocturnes parisiennes), par un défilé de personnages secondaires colorés et par cette passion amoureuse plutôt touchante et assez poétique. Un savoir-faire tout aussi présent naturellement dans la mise en image par Griffo. Un dessinateur « à l’ancienne » que l’on ne présente plus. A l’œuvre sur les séries Giacomo C., Abymes, Empire USA ou Sherman, il avait déjà collaboré avec cet auteur sur le triptyque Utopie et a signé plus récemment le one shot personnel et onirique Iruene. Il illustre avec beaucoup d’efficacité cette fin de siècle, abordant les décors avec beaucoup de finesse et de détails, sans jamais se perdre dans un réalisme trop manifeste jusque dans le trait des personnages, particulièrement expressifs dans leurs craintes et leurs désespoirs. Et le traitement des couleurs en aquarelle est bien entendu toujours du meilleur effet pour ce type de récit.
Un album particulièrement plaisant, envoûtant et élégant qui pioche dans les atmosphères classiques pour trouver sa propre tonalité. Avec deux patrons comme Rodolphe et Griffo aux commandes, il aurait été étonnant que l’on puisse être déçu.