L’ENFER DE DANTE
France – 2023
Genre : Fantastique
Dessinateur : Gaëtan Brizzi, Paul Brizzi
Scénariste : Gaëtan Brizzi, Paul Brizzi
Nombre de pages : 160 pages
Éditeur : Éditions Daniel Maghen
Date de sortie : 19 janvier 2023
LE PITCH
L’Enfer est la première partie de la Divine Comédie de Dante, un grand classique de la littérature italienne. Si le récit est complexe, l’idée centrale est simple. Guidé par le poète Virgile, Dante traverse les neuf cercles de l’Enfer pour retrouver sa bien-aimée Béatrice au Paradis.
Ouvrage divin
Après La Cavale du Dr Destouche d’après Céline, L’Automne à Pékin de Boris Vian et Les Contres drolatiques de Balzac, les frères Brizzi s’attaquent à un autre classique de la littérature : La Divine Comédie. Un Everest littéraire mais aussi une source inépuisable de visions cauchemardesques et grandioses qui aboutit une nouvelle fois à un ouvrage impressionnant.
Composé au début du XIV ème siècle, La Divine comédie est un poème fastueux et complexe rédigé par Dante Alighieri en langue florentine. Il narre le voyage de l’auteur au travers de L’enfer, du Purgatoire et du Paradis en quête de son aimée Béatrice, et tisse surtout une gigantesque allégorie du monde chrétien de son époque. Un témoignage incontournable de la vision du monde au moyen-âge, imprégné de multiples références religieuses, culturelles et historiques parfois obscures. Impossible bien entendu de l’adapter donc frontalement, et Gaëtan et Paul Brizzi n’ont pas hésité à élager franchement dans le texte source, se concentrant ainsi sur la première partie du récit (la plus connue et la plus accessible) tout en écartant une prose lourde et de nombreux épisodes, détails et anecdotes qui l’auraient rendu indigeste ou inaccessible en l’état. Une certaine forme de vulgarisation en somme, mais dont le but est surtout de replacer la partie graphique en avant et l’émotion qu’elle peut véhiculer. Grands noms du cinéma d’animation, ayant œuvré sur Les Mondes engloutis, La Table tournante, Le Bossu de Notre-Dame et directement réalisé Astérix et la surprise de César, Dingo et Max ou le célèbre segment L’Oiseau de Feu de Fantasia 2000, les deux frères manient parfaitement cette idée d’une simplification, d’une économie, tournée vers le mouvement et l’image. Leur version de L’Enfer de Dante pourra peut-être faire bondir les puristes et grogner les âmes littéraires, mais il n’en reste pas moins que le résultat final, quelque-part entre la bande dessinée et le livre illustrée, avec des découpages s’approchant du story-board cinématographique, redonne une vie inédite au chef d’œuvre intouchable.
La quête de l’ultime
Pari risqué, mais clairement gagnant qui permet ainsi d’aborder l’odyssée de Dante moins comme un exercice intellectuel que comme une aventure personnelle, poétique et introspective peuplée de lieux majestueux et inquiétants, de créatures fantastiques et terrifiantes. Les deux artistes traversent donc à leur tour les neufs cercles concentriques de l’Enfer, là où les péchés de l’humanité sont sévèrement punis, et en ressortent avec des planches incroyablement puissantes, emportés par des perspectives renversantes, des architectures mythiques et un sentiment de majestés constant. Géants, centaures, anges, méduses, cerbères, dragons et hommes réduits le plus souvent à la forme de bêtes suppliciés habitent alors un décorum presque antique, étonnement épuré, mais dont l’omniprésence de la pierre, de la roche et insiste sur la notion d’éternité, sur une certaine gravité. Le découpage est constamment fluide et dynamique, apportant même parfois quelques touches de dérisions rafraîchissantes, et les pleines pages sublimes et solennelles remettent toujours les pendules à l’heure. A l’instar de cette apparition saisissante des masses torturées des adeptes de la chair ou celle d’un Lucifer bestial patientant sur son trône avant de s’emporter dans une colère infernale. A l’instar de l’adaptation de Go Nagai (et oui le créateur de Goldorack), L’Enfer de Dante des frères Brizzi invoque lui aussi l’âme tutélaire de Gustave Doré et de ses riches illustrations gravées, reprenant un traitement en noir et blanc, un jeu constant sur les clairs obscurs et la profondeur des lumières, mais en tire clairement une vision plus lumineuse, plus douce, plus proche du récit oral, à l’onirisme évocateur, que du cauchemar métaphysique. Plus que jamais un grand voyage.