KROMA
Kroma #1-4 – Etats-Unis – 2022
Genre : Fantastique
Dessinateur : Lorenzo De Felici
Scénariste : Lorenzo De Felici
Nombre de pages : 226 pages
Éditeur : Delcourt
Date de sortie : 22 novembre 2023
LE PITCH
Emprisonnée dans une tour à l’intérieur des murs de la ville pâle, Kroma vit totalement dans l’obscurité, croyant qu’elle est la créature la plus maléfique qui soit. Cependant, là où son peuple ne voit qu’un monstre, le jeune et mystérieux orphelin Zet voit un être humain. Mais s’ils veulent survivre aux étranges rituels de la ville, ils devront surmonter le cruel destin de Kroma… quitte à risquer une mort certaine.
Couleurs primaires
L’illustrateur d’Oblivion Song fait une, très belle, parenthèse entre deux séries imaginées par Robert Kirkman pour livrer sa première création solo : Kroma. Une aventure longuement murie et intensément graphique puisqu’ici l’équilibre du monde repose sur la couleur.
Un sujet plutôt naturel pour un artiste qui aura débuté sa carrière comme coloriste (Orphelins) avant de passer aux dessins complets sur Drakka, Infinity 8 et enfin et surtout Oblivion Song, incroyable démonstration de ses talents dans un contexte entre apocalypse et fantasy. C’est fort de cette expérience qu’il a finalement fait renaitre un vieux projet solo qui lui tenait à cœur, Kroma, réécrit et réorganisé pour l’occasion, naturellement publié en premier lieux au sein du label Skybound aux USA. Une fable terrible en quatre chapitres qui s’inscrit dans un monde lointain où les derniers hommes vivent reclus au sein d’une cité sans couleur. Cette dernière est devenue taboue depuis que des sortes de crocodiles géants au goitre versicolore ont envahie la nature environnante et dévorent tout ce qu’ils voient. Ils sont en effet aveugles au noir et blanc. Un point de départ idéal pour un artiste de la trempe de De Felici qui frappe toujours autant par la richesse de son trait, la profondeur de ses environnements, son sens du mouvement et de la juste expressivité de ses personnages qu’il couple ici très souvent à une réflexion admirable sur le traitement des couleurs.
Contrastes
Tout d’abord en ne la laissant apparaitre que par petites touches volées au sein de dégradés de gris, dans un rêve lointain ou les yeux vairon d’une fille interdite, puis en les laissant exploser dans un univers luxuriant, débordant enfin de vie, de teintes et d’émotions. Un voyage visuel impressionnant, spectaculaire, dévoué à un voyage initiatique douloureux pour Kroma, gamine offerte aux villageois comme bouc émissaire de leur triste destin, qui finit par s’échapper de l’étreinte du prêtre du village grâce au sacrifice du gentil Zet et qui va devoir réapprendre à vivre avec la réalité qui l’entoure. C’est justement en comprenant sa différence (en l’occurrence ses deux yeux de couleurs différentes) et en domestiquant son nouvel environnement, son lien aux couleurs, qu’elle va pouvoir s’affirmer non pas comme le démon annoncé mais comme une libératrice pour les nouvelles générations. De ce côté-là, De Felici ne prétend pas réinventer la roue et s’inscrit tout à fait volontairement dans une longue tradition d’aventures fantastiques fortement symboliques, mettant en garde contre l’obscurantisme, les dogmes religieux, la peur de la différence et le repli sur soi. Mais il le fait avec une réelle efficacité, donnant beaucoup de corps et de profondeur au microcosme de sa mini-série. Le bestiaire déjà est particulièrement réussi, avec en premier lieux ces fameux lézards géants à l’appétit vorace, mais aussi toute l’organisation à la fois logique et absurde qu’ont mis en place les humains pour survivre, que ce soit dans leurs techniques d’expansions incolores ou dans les codes d’une religion reposant uniquement sur la peur et l’éradication de la couleur.
Un superbe album, un voyage envoutant et des planches imposantes de beauté où certes passé la fin (outch) du premier chapitre les surprises se feront beaucoup plus rares, mais qui assurent définitivement que Lorenzo De Felici est un artiste particulièrement talentueux et dont l’importance ne va aller que croissant. On attend forcément de pied ferme sa prochaine collaboration avec Kirkman : Void Rivals.