KAMASUTRA : DE CHAIR ET DE SANG
France – 2024
Genre : Aventure
Dessinateur : Laura Zuccheri
Scénariste : Sudeep Menon
Nombre de pages : 112 pages
Éditeur : Daniel Maghen Editions
Date de sortie : 15 mai 2024
LE PITCH
Aussi explicite soit le titre, ce récit conte avant tout une histoire de vengeance… Celle d’un jeune homme nommé Basvaraj, envers la femme la plus respectée de toutes, une femme belle, mais aussi cruelle et crainte des rois : Bhairavi, surnommée la Reine écarlate. Le seul défaut de cette guerrière qui défit les dieux ? Son appétit charnel… et qui de mieux placé pour aider Basvaraj dans son objectif que l’inventeur du livre des livres… Le Kamasutra !
Désirs royaux
Comme le véritable Kamasutra n’est pas uniquement une exploration des meilleurs positions sexuelles, mais aussi un guide spirituel et un précepte de vie beaucoup plus large, cette bande dessinée du même nom n’est certainement pas qu’une proposition érotique. C’est aussi une grande BD historique et une aventure épique.
Sudeep Menon signe ici sa première bande dessinée occidentale. L’auteur est cependant très loin d’être un débutant puisqu’il est une signature importante de la nouvelle BD indienne pour laquelle il a d’ailleurs produit une relecture intriguante du fameux mythe de Dracula. Le Kamasutra est lui aussi d’une certaine façon un mythe, et fait partie de la culture collective, mais très peu souvent pour sa véritable forme. Un objet de fantasme, évoqué plus pour ses gravures souvent très explicites que pour sa contenance plus technique, entre guide de vie et étude philosophique. Sudeep Menon choisit donc ici de revenir aux racines même de l’ouvrage, non pas en signant une vulgarisation du livre, mais en racontant à sa manière l’un des épisodes connus de la vie de Vatsyayana, l’auteur du Kamasutra. On voyage donc jusque dans l’Inde du IIème siècle, alors royaume féodal habité de guerres incessantes entre les différents seigneurs, où une femme, plus guerrières que reine, menaçait les rois alentours et faisait régner la terreur sur ses terres. Bhairavi, dite la Reine écarlate, avait même pour fâcheuse occupation de choisir quelques beaux mâles, de les épuiser sur la couche et de les castrer en cas de prestation peu convaincante.
Comme vous voulez
C’est là qu’intervient Vatsyayana alors relégué comme esclave depuis sa capture, qui va décider d’apporter ses connaissances dans la maitrise des plaisirs de la chair et des désirs féminins, pour permettre à l’un des prétendant de s’en sortir indemne et de se rapprocher d’elle. Les débuts d’une opération de conquête, d’une romance passionnelle et surtout de jeux amoureux aussi charnels que dangereux qui va renverser les pouvoirs dans la région. Le récit alterne alors les scènes de sexe, érotiques mais jamais trop crus, et les grandes batailles, souvent particulièrement meurtrières, où « l’adoucissement » de Bhairavi, s’amourachant peu à peu de son bel, et très doué, amant, menace effectivement de faire s’écrouler l’empire qu’elle s’était construit. Pas de bien ou de mal ici, mais des hommes et des femmes survivants dans une époque particulièrement troublée et sans pitié. Si la fameuse reine ne sera certainement pas sauvée par ses nouveaux sentiments, l’auteur lui offre tout de même un portrait joliment ambigu, révélant autant le destin tragique qui l’a mené à cette place de dictatrice, qu’une fragilité des plus humaines bien loin des légendes. Une grande figure indépendante, conquérante, presque féministe looongtemps avant l’heure, qui est d’autant plus fascinante pour un lecteur occidental qu’il n’en avait jamais entendu parler.
Un portrait de femme et une fresque épique servie qui plus est par le trait assurée et fouillé de l’italienne Laura Zuccheri. Quelques jours à peine après la sortie chez Glénat de son album pour la saga Thellus, l’illustratrice prend quelques distances avec la science-fiction (on la connait aussi pour Retour sur Belzagor et L’Épée de verre) pour assumer un versant plus naturaliste et réaliste de son art. Toujours peints en couleur directes, la nature, particulièrement luxuriante ici, et les paysages sauvages ont encore une fois la part belle sur ses planches, mais là encore la personnalité de Bhairavi, celle qui succomba, aux pouvoirs du Kamasutra, s’offre les illustrations les plus troublantes et sans doute aussi les plus puissantes.