JUSTICE LEAGUE : FAUTE D’UN CLOU
JLA: The Nail #1-3, JLA: Another Nail #1-3 – États-Unis – 1998, 2004
Genre : Super-héros
Dessinateur : Alan Davis
Scénariste : Alan Davis
Nombre de pages : 312 pages
Éditeur : Urban Comics
Date de sortie : 09 juin 2023
LE PITCH
Il y a de longues années, dans le Kansas : Martha et Jonathan Kent, qui ont projeté de faire quelques courses dans la bourgade de Smallville, découvrent qu’un pneu de leur voiture est crevé. Ils choisissent de reporter leur balade à plus tard et restent chez eux, sans se rendre compte que le ciel est traversé par une météorite étrange. Celle-ci abrite un enfant extraterrestre envoyé sur Terre depuis une lointaine planète. L’engin s’écrase un peu plus loin, et les Kent ne seront jamais là pour adopter l’enfant tombé des étoiles. Au fil des ans, les premiers super-héros apparaissent, mais dans ce monde légèrement différent du nôtre, jamais Superman ne se fera connaître, et l’histoire en sera à jamais bouleversée.
Il suffira d’un rien
Les deux mini-séries d’Alan Davis autrefois éditées séparément chez Panini Comics, sont enfin réunies en un seul volume par Urban Comics. Une double proposition certes inégale, mais un regard pertinent sur l’univers DC Comics, un what if ? débordant de passion pour le Silver Age et illustré avec toujours autant de talent.
Brillant illustrateur d’origine anglaise ayant cocrée Captain Britain avec Alan Moore, imposé sa marque sur l’univers X-Men avec notamment les pérégrinations inoubliables d’Excalibur sans compter ses multiples prestations du coté des titres Batman, Alan Davis n’aura qu’à de trop rares occasion pris totalement la main sur ses créations. En l’occurrence la comédie mutante et familiale ClanDestine, le revamp de Killraven (tous deux pour Marvel) et bien entendu les deux versants de The Nail (le Clou donc) projet de longue haleine qu’il réussit à publier chez DC en 1988. Trois chapitres seulement pour un récit hors continuité (inclus dans la gamme Elseworld même) qui justement imaginait quel pouvait être l’impact d’un simple clou sur l’univers DC tel qu’on le connait.
Un petit morceau de métal fiché dans le pneu de Martha et Jonathan Kent qui ne prendront finalement jamais la route ce jour fatidique où un vaisseau de sauvetage en provenance de Krytpon s’écrase sur Terre. Exit Clark Kent, exit Superman, exit le modèle absolu du super-héros, héros de l’Amérique et de la planète, véritable liant de cette étrange communauté, dont la bonté et la puissance rassemblait toutes les forces de bonnes volontés autour de lui. Bien des années plus tard, les super-héros existent bel et bien, mais sont craint par une population endoctrinée par les médias et un mystérieux agenda politique mis en branle par le président Luthor ! Un jeu aujourd’hui finalement assez commun avec l’historique des comics, mais encore relativement rare alors, qui s’avère surtout orchestré avec beaucoup de précision et de fermeté. Les choses se mettent lentement en place, la menace se fait de plus en plus présente, mais surtout Le Clou observe la dislocation de la JLA, sa difficulté à maintenir une cohésion salvatrice face à l’adversité et à analyser les indices qui pourtant devraient leur crever les yeux. Sur fond de chasse aux sorcières, de lois réactionnaires et de crainte du « différent » (doit-on rappeler que l’alien Superman avait une apparence idéalement humaine ?), Alan Davis construit donc un drame particulièrement intense, inquiétant voir dramatique même en particulier lorsque Bruce Wayne paye le prix lourd lors d’un énième combat contre un Joker doté de gadgets surpuissants.
Le royaume fût-il perdu ?
Sur la base du fameux « battement d’aile de papillon » l’auteur réussi à mettre en place un enchainement parfaitement logique qui sait puiser avec chaleur dans le Silver Age de DC comics, retrouvant d’un même mouvement une sorte de candeur et de positivisme d’autrefois. Cela ne se résume pas seulement à réintégrer Hal Jordan et Barry Allen sous les masques de Green Lantern et Flash (alors que dans les titres normaux ils avaient passés la main), mais plutôt à une atmosphère bondissante, vive, colorée qui n’empêche jamais la maturité. Accompagné de son habituel encreur Mike Farmer, Alan Davis prend manifestement beaucoup de plaisir à dessiner tout ce beau monde, multipliant les figurations et les costumes, les poses iconiques, retraçant avec amour les détails de chaque univers, sans oublier quelques hommages à ses illustres pairs.
Un tel plaisir d’ailleurs (et un joli succès éditorial) qui lui fera remettre le couvert six ans plus tard avec Another Nail qui se déroule à peine un an plus tard et suit, entre autres, l’ascension de ce nouveau Superman (et oui spoiler à mort, mais visible en couverture) ou la laborieusement reconstruction de Bruce Wayne. Alléchant, surtout que l’ambition est cette fois-ci d’aller titiller autant les rives cosmiques que les arrières-cours magiques de l’univers DC, tout en y incorporant plus de personnages secondaires encore. Généreux et toujours aussi impeccablement illustrée, cette seconde partie perd cependant clairement en densité et semble constamment se disperser dans un script cette fois ci bien moins consistant. Là où la révélation finale du Clou faisait sacrément son effet, l’identité du nouvel ennemi tombe clairement à l’eau et cette fois-ci aucun Deus Ex Machina d’amplitude pour renverser la vapeur. Presque un simple bonus en somme, un prolongement sympathique mais un peu vain où il manque autant l’élément de surprise qu’une direction franche et nette.
Dans les préfaces et postface qui accompagnent le recueil, Alan Davis avoue son regret de ne pas avoir pu transformer ces deux mini-séries en véritable trilogie. Malgré la baisse de régime de la première suite, on aurait vraiment été curieux de voir jusqu’où ce simple clou aurait pu nous mener.