JUNJI ITO : HISTOIRES COURTES
伊藤潤二短編集 BEST OF BEST – Japon – 2019
Genre : Horreur
Scénariste : Junji Ito
Illustrateur : Junji Ito
Éditeur : Delcourt / Tonkam
Pages : 224 pages
Date de Sortie : 02 novembre 2022
LE PITCH
Le meilleur moyen de découvrir Junji Itô, le maître du manga horrifique. Dix histoires courtes accompagnées d’une galerie d’illustrations couleur présentées dans une somptueuse anthologie de luxe.
Tales from the Vault
Venant compléter les deux tomes des Chefs d’œuvres de Junji Ito édités par le concurrent Mangetsu, Delcourt propose la traduction du recueil sobrement renommé Histoires courtes et comprenant des récits graphiques imaginées pour l’éditeur Shogakukan. 10 nouveaux contes absurdes et terrifiants par le maitre du manga d’horreur, ça ne se refuse pas.
Si l’artiste c’est largement fait connaitre en France avec ses séries plus longues comme Spirale ou Tomie, que l’on peut considérer en effet comme d’authentiques chef d’œuvres du genre, il pratique tout aussi généreusement la forme plus courte et les divers recueils qui les réunissent en attestent. Pas encore de véritable intégrale, même au Japon, mais à chaque fois des anthologies qui se complètent progressivement les unes les autres. Le point commun de cet essais de ce volume, ce Itô Junji Tanpenshû – Best of Best publié au Japon en 2019, se résume ainsi à l’éditeur pour lesquels ils ont été produits, puisqu’une nouvelle fois l’auteur passe allégrement d’une mini farce grotesque comme La Triste histoire d’un père de famille où le patriarche devient physiquement le pilier de sa demeure, à un amusant et touchant récit autobiographique venant déclamer son admiration pour le modèle Kazuo Umezz (L’école emportée), sans oublier d’incontournables adaptations de l’œuvre d’Edogawa Ranpo. Même là l’angle s’avère changeant puisque si Un Amour inhumain reste extrêmement fidèle à la nouvelle originale, contant la passion troublante d’un homme pour une poupée de porcelaine, il se réapproprie plus généreusement le célèbre La Chaise humaine en imaginant la suite de cette affaire sordide où un homme se dissimulerait dans la structure d’un fauteuil moelleux. Une tonalité étrange, malaisante et particulièrement ambiguë dont Junji Ito a réussi à se faire le dépositaire, voir même souvent à en repousser largement les limites, oscillant constamment entre une horreur extravagante, sidérante et un sens du détail particulièrement sordide. Sans doute que son génie est de réussir à constamment s’approcher du ridicule absolu sans jamais y tomber grâce à un sens aiguë de l’ironie cruelle.
Transformations
Des millions de solitaires qui ouvre le recueil décrit ainsi une apocalypse improbable et presque joyeuse au son d’une chanson que l’on imagine ringarde et qui semble pousser la population à se relier comme des guirlandes macabres avec du fil de pèche. Même vision d’un individualisme destructeur dans le presque poétique Le Mystère de la faille d’Amigara où les milliers de silhouettes gravées dans des falaises semblent appeler les âmes esseulées à s’y enfoncer, s’y perdre… et s’y transformer en amas de chairs distordues. Délirant soit, mais les images concoctées par l’artiste, la finesse de son dessin, la prestance de ses décors et la force des détails scabreux (effets gores, expressions des visages…) en font systématiquement des œuvres cauchemardesques assez inoubliables. Même lorsque Ito s’amuse avec un club de passionnés d’OVNI ne pouvant plus voir la pauvre Mariko, rendu invisible par un père trop possessif, il y a quelque chose de dérangeant qui affleure, d’anormal et de malade. Comme lorsque l’on découvre un bébé enfanté par le cadavre d’une femme déjà enterrée dans L’Enfant posthume qui pousse la logique morbide des contes de Poe jusque dans ses retranchements. Finalement le récit le plus classique ici est La lécheuse, pure trame d’épouvante avec une nouvelle créature féminine traquant ses victimes dans des ruelles désertées. Son seul but ? Les lécher de haut en bas et les recouvrir d’une bave toxique. Le visage déformé et atroce de la prédatrice, la transformation ultime de sa langue réduisant un baiser passionné en une étrange pénétration mortelle digne d’un film de Cronenberg… Le classicisme chez Junji Ito cela reste toujours particulier.
Une compilation particulièrement riche donc superbement mis en valeur par le travail de Delcourt qui en reproduit les pages couleurs, les illustrations « pin-up » tirées de Spirale ou La Déchéance d’un homme le tout dans un volume à couverture dure protégé par une jaquette élégante.